Veille du nouveau millénaire - Denis Sassou-Nguesso est le Président du "Congo-Brazzaville". Ne pas confoncre avec le nouveau « Congo Démocratique » qui a succédé au Zaïre à la chute de Mobutu.
J'entreprends, porteur d'une mission urgente et décisive, de lui faire visite lors d'une tournée que j'effectue dans différentes capitales dont Abidjan, Yaoundé et Accra.
Avec Jacob Kellenberger, Président du Comité International de la Croix Rouge
Ce qui se passe au Congo n'est, sur tous les plans, que le produit d'un passé qui n'a jamais vraiment pris fin. Sortir ces pays africains du marasme, leur permettre de se développer économiquement, favoriser l'émergence d'une classe dirigeante de qualité sont autant de défis difficiles à surmonter en raison de la manière dont l'Afrique a été traitée pendant si longtemps !
Lorsque je me pose à Brazzaville, le Congo est dans un état attristant. Les luttes fratricides entre les factions de l'ancien Président Lissouba et les troupes de Sassou-Nguesso ont laissé des traces profondes et contribué à la destruction des structures étatiques du pays. Ce pays devrait être, comme beaucoup d'autres en Afrique, l'un des plus riches de la planète, notamment en raison de ses réserves pétrolières mais certaines compagnies étrangères ont bien compliqué le jeu des luttes de pouvoir.
L'aéroport de Brazzaville est dans un piteux état. Grâce à un jeune agent du protocole, je suis extrait de la zone de transit, j'emprunte un passage entre des fils de fer barbelés et trouve place dans une voiture qui m'emmène directement vers la résidence du Président de la République.
C'est un immense domaine totalement encerclé par des forces militaires sur le qui vive. La tension est palpable. Un blindé trône en face de l'entrée principale. A l'intérieur, un grand jardin, des espaces forestiers et de petites villas. L'une d'elles sert de salon de réception au Président. Une jolie pièce, bien décorée qui jouxte un petit secrétariat. Mais on sent bien qu'on est en guerre. Aussi les mesures de sécurité sont-elles extrêmement présentes.
Le Président entre dans la pièce. C'est un homme charismatique, élégant et frais. Il est souriant et cordial. Je lui remets d'emblée le message personnel du Président du Comité International de la Croix-Rouge dont je suis porteur. Cette mission non officielle mais extrêmement importante a été en fait la vraie raison de mon escale à Brazzaville. Tout au long de la vie du Forum je me suis souvent trouvé porteur de ce genre de messages de la part de Gouvernements ou d'Organisations Internationales.
Le CICR est très inquiet au sujet de nombreux prisonniers et réfugiés qui se trouvent au Congo et qu'il ne peut visiter comme il l'entend. Le Président s'assied, ouvre l'enveloppe et lit la missive très attentivement, à plusieurs reprises. Il semble impressionné par le document qu'il tient entre les mains. Puis, en silence, il se lève doucement et quitte le bureau. Il en restera absent durant plus d'une demi-heure avant de revenir, après avoir donné, je l'entends, des instructions à certains collaborateurs qui se trouvent dans la pièce attenante.
Notre conversation peut commencer.
Ma préoccupation porte non seulement sur la stabilité du pays, les moyens de sortir de cette guerre civile, la mise en oeuvre de la démocratie, mais également sur les questions de sécurité qui sont délicates dans cette région où se côtoient les pays les plus riches d'Afrique, tous frappés, semble-t-il, par cette « malédiction des matières premières ».
Sassou-Nguesso est notamment le beau-père du Président Omar Bongo du Gabon. Il y a donc des liens familiaux entre les deux pays limitrophes et la géostratégie emprunte aux concepts anciens, lorsque les alliances se faisaient au gré des mariages. J'insiste sur le calendrier électoral que le Président, à ma demande, a promis de mettre en oeuvre lors de sa récente visite au Forum en 1998. Mais les choses tardent et ce n'est bon ni pour lui ni pour son pays.
Les crédits et l'aide internationale dépendent essentiellement de la stabilité du pays. Sans transparence ni démocratie stabilisée, il n'y a rien à espérer. La démocratie - de même que la lutte anti-corruption - est devenue le préliminaire fondamental à toute aide en Afrique pour les bailleurs de fonds.
Tout est relatif, surtout les grands principes lorsque les intérêts des puissances sont en jeu. Nous parlons longtemps puis le Président m'emmène en voiture vers un curieux pavillon qui se trouve à quelques centaines de mètres pour déjeuner. Je découvre un bâtiment d'un seul niveau, tout en verre, octogonal, couvert par un toit africain, et constitué d'une seule pièce faisant à la fois office de vaste salon et de salle à manger.
Tout autour, on les voit à travers les vitres, une cinquantaine de soldats, assis sur des chaises qui balancent, observent nonchalamment ce qui se passe à l'intérieur du pavillon tout en tripotant leur arme.
On passe à table: je découvre la tortue. Intéressante expérience gastronomique. Puis, tournant légèrement dans ce pavillon, nous nous installons dans le salon. Là se produit un incident assez comique.
Trois canapés en U font face aux baies vitrées, formant la partie salon de cette pièce unique. Naturellement à travers ces baies, on voit les soldats assis dehors qui regardent à l'intérieur et nous voient aussi.
Le Président est assis à la droite du canapé central et moi à la gauche du canapé qui se trouve à sa droite. Nous sommes donc en angle, proches l'un de l'autre, séparés par un petit guéridon, chacun ayant un gros coussin, lui sous le bras droit, moi sous le bras gauche.
La conversation devenant à un moment assez animée, mon bras gauche se soulève vers le Président et effleure le coussin sur lequel il appuie son bras droit. A ce moment, les militaires qui observent tout à travers les baies vitrées se lèvent comme un seul homme. Je ne fais pas le rapprochement avec la position de mon bras.
Ils se rassoient comme tranquillisés lorsque ma main revient vers mon coussin. Je recommence, ils se lèvent à nouveau ; je retire mon bras, il se rassoient. Le Président remarque ma surprise et éclate de rire :
- Vous savez pourquoi ils se lèvent ? Il est arrivé que sous ce coussin une arme soit placée. N'oubliez pas que je suis en guerre. Je dois me protéger. Je reçois ici des gens divers et variés. Aussi, à chaque fois que votre main s'approche de mon coussin, elle pourrait être à portée de mon arme, alors ils se demandent ce que vous allez faire et ils ont peur pour moi !
Pourquoi tant de guerres, tant de déchirements dans ces beaux pays africains ?
Il faut que cela change. Est-ce possible ? A cette époque, il faut le souligner la totalité des guerres civiles africaines étaient privatisées et alimentées par les royalties des grands groupes...
J'y reviendrai !