Octobre 1995. Je réunis à Malte un exceptionnel « Mediterranean Crans Montana Forum » à l’initiative du Gouvernement de l’île qui désire avancer dans son processus d’adhésion à l’Union Européenne. Tout le monde accueille ce projet avec enthousiasme notamment la Commission Européenne et le Gouvernement italien qui n'est jamais bien loin lorsqu'il s'agit de Malte.
Pour La Valette un tel Forum est d’un intérêt majeur, car il va amener de nombreuses personnalités internationales notamment européennes alors que le pays est candidat à l'adhésion et que peu s'y intéressent... Et Malte n'est pas le centre du monde même si les Maltais prétendent qu'ils sont au centre de la Méditerranée. Parvenir à La Valette n'est pas chose facile. Les lignes aériennes sont loin d'être bien coordonnées.
Quant aux hôtels dont la plupart appartiennent, selon la rumeur publique, à Khadafi, ils sont tous magnifiques et de format 5 étoiles. Malheureusement, ceux qui sont chargés de les gérer ont signé par facilité ou incompétence des contrats de tour-operator avec des officines allemandes et scandinaves qui amènent par grappes un tourisme de masse des plus surprenants. Et le niveau de la clientèle est déplorable. Ce qui fait que dans un hôtel construit en 5 étoiles on a un service au mieux 1 étoile et peut-être pas d'étoile du tout !
J'ai été surpris, lors des visites préalables à l'organisation du Forum de voir que la première chose que faisait le Gouvernement était de racheter, hôtel par hôtel, des contingents de chambres pour nos invités. Je dis bien racheter. En effet ces chambres sont vendues parfois jusqu'à quatre ans à l'avance à prix cassés et il faut négocier pour pouvoir en récupérer un minimum.
Le Gouvernement de Edward Fenech Adami est composé d’hommes sûrs et solides qui ont fait avancer laborieusement mais fortement l’idée européenne dans le pays. Ils s'appellent tous Jo, John ou Georges (vous criez d'ailleurs l'un de ces prénoms dans une rue de La Valette et tous les hommes se retournent !) et de loin ont ce même profil physique que Napoléon avait déjà caractérisé lors de sa visite.
Mais les choses n’étant jamais acquises en politique, les élections de 1996 amèneront au pouvoir un véritable hurluberlu qui, en une nuit supprimera la TVA et annulera toutes les adhésions directe ou indirectes de Malte à des processus tels que le Partenariat pour la Paix ou la demande d’adhésion à l’Union Européenne. C'est Malte !
L'énergumène agité démissionnera bientôt pour regagner la nuit de l’oubli. Il n’en reste pas moins et je me plais toujours à le souligner lorsque je rencontre John Dalli, le Ministre des Finances de l'époque devenu Commissaire Européen, qu’il a été le seul Ministre des Finances à implanter deux fois la TVA dans son pays ! Car il a bien fallu la restaurer pour mettre fin à la gabegie née de sa suppression brutale.
En 1995 la crise des Balkans connaît des développements importants. Je décide alors d’organiser un panel réunissant tous les grands acteurs de la région pour parler d’avenir. Même lorsque celui-ci semble compromis, et surtout dans ce genre de circonstances, il faut continuer à se parler.
Les participations que j’obtiens sont prestigieuses : Aliya Izetbegovic Président de la Bosnie & Herzégovine, Zoran Lilic Président de la Yougoslavie, Janez Drnovsek Premier Ministre de la Slovénie... Ils sont tous là. Je confie la présidence du panel à Ion Iliescu, Président de la Roumanie qui a la crédibilité, le talent et l’expérience pour mener à bien une telle aventure. Car vu la situation, c’est bien une aventure.
La chaîne européenne d’information continue Euronews a offert de diffuser en direct ce débat de la plus haute importance pour l'Europe et le monde. Le satellite européen est donc réservé à grands frais pour une heure et demie d'affilée.
Sur la scène de la salle de Conférence, les orateurs, assis à une longue table, font face au public. Il n'est pas inutile de préciser que chaque personnalité a, à ses pieds, un écran dit de "retour" diffusant le signal Euronews de l'antenne, celui qui est vraiment reçu par les téléspectateurs assis devant leur poste à travers le monde. On peut donc contrôler de très près tout ce qui se passe.
Assis à côté de Ion Iliescu avec l’oreillette qui me permet de recevoir des consignes de la régie, conduite de main de maître par Sylvie Aubrit - elle s'occupe des relations TV du Forum depuis de nombreuses années - mais malheureusement pas de m’adresser à elle, je lance le débat.
Et là, surprise, je vois les images de l’écran de contrôle se brouiller sporadiquement et totalement toutes les 30 secondes environ ! D’énormes parasites récurrents en noir et blanc gênent l'émission. Suivre ce "live" doit être insupportable pour tout téléspectateur moyen.
Je m'énerve. Les personnalités du Panel se regardent et s'interrogent. Mais le car de la régie est loin de moi car si la Conférence a lieu dans le magnifique Hôpital des Chevaliers de Malte, les lieux ne sont pas des plus aisés pour installer un système vidéo. Je ne peux donc interroger Sylvie qui de son côté ne peut quitter son car et tout abandonner.
Ce n’est qu’à la fin de l’émission, alors que je lui demande assez brutalement des explications croyant qu'Euronews est responsable de ce gâchis que Sylvie Aubrit m'apprend qu'elle n’a aucune réponse à m’apporter ! Elle ne comprend pas. Elle se propose de faire diligenter une enquête par les services compétents. C'est tout ce qu'elle peut faire.
On pourra reconstituer l’histoire quelques semaines plus tard.
Le Gouvernement d'un Etat du Sud-Est des Balkans qui n’a jamais vraiment apprécié que mon Organisation prenne en toute indépendance et dans le respect de la liberté d'expression, des initiatives pour la résolution de la difficulté chypriote – ce n’est plus un conflit, je ne cesse de le proclamer – et qui, d'autre part, ne souhaite en aucun cas que la Roumanie joue un rôle important dans les Balkans a tout bonnement décidé de "bricoler" cette émission à sa manière !
J’apprends alors qu’un satellite fonctionne au bénéfice de telle ou telle télévision nationale en fonction des heures qui sont programmées et réservées. Il ne peut être utilisé que par une seule télévision à la fois. Durant l’utilisation par un pays, les émetteurs des autres pays doivent rester silencieux. S'ils émettent, ils saturent le satellite et comme sur une VHF de bateau, tout s’arrête.
Eh bien, il s’est trouvé quelqu’un de bien placé au bon endroit avec les instructions qui convenaient pour saboter l’apparition de Ion Iliescu dans ce débat sur les Balkans. Informé peu de temps après par moi lors d'un voyage à Bucarest, le Président Iliescu restera de marbre...