
Au fil des affaires qui se succèdent, des scandales qui font la une, des interrogations qui s’accumulent, il est temps de se pencher sur la signification réelle du mot « corruption » et de commencer à réfléchir à notre système.
D’après le Petit Robert, la corruption c’est « le moyen qu’on emploie pour faire agir quelqu’un contre son devoir, sa conscience… » Mais c’est aussi et surtout de notre temps « l’altération de la substance par décomposition » !
Notre monde a beaucoup évolué et nous nous apercevons chaque jour que les choses sont plus complexes et que la perversion recule sans cesse les limites de sa propre subtilité.
La remise d’une enveloppe ou d’une contribution en nature contre une prestation illicite, par les temps qui courent, c’est finalement du petit jeu pour amuser les brigades locales de gendarmerie. Les enveloppes sont en effet de plus en plus difficiles à garnir car les espèces se font rares. Quant aux contributions en nature (je refais le mur de ta maison de vacances contre le service que tu me rends) elles sont devenues dangereuses car la délation et les règlements de comptes sont maintenant monnaie courante.
Et puis de telles pratiques ne peuvent concerner que des affaires de petite importance… Lorsqu’on parle de grosses affaires, de véritable favoritisme, de soutien à l’obtention de gros marchés ou même d’adaptations réglementaires ou législatives à même de créer un avantage substantiel pour le corrupteur…il n’y a plus d’enveloppe assez grande !
Alors la corruption peut devenir moins visible car différée... On remercie le corrompu plus tard, lorsqu'il a disparu de la scène médiatique. Et il y a mille manière de le rémunérer pour ce qu'il a fait avant !
Dès lors tout peut devenir suspect et le comportement des hommes les plus honnêtes peut être alors questionné !
En Suisse, dans mon pays, je n’ai jamais vu ni subodoré, tout au long de ma vie, une seule corruption « primaire », c’est à dire un paiement contre prestation. L’atmosphère du pays est saine, les fonctionnaires (car il s’agit en général d’un agent public) sont respectables, dignes de confiance et conscients de leur devoir.
Les Ministres (Conseillers fédéraux) ont des pouvoirs d’influence considérables, notamment dans le domaine des affaires, et rien ne permet de douter qu’ils en font un usage pervers. Le sens de l’Etat et du bien public est une réalité ancrée dans la mentalité de chaque citoyen Suisse.
Par contre j’ai bien souvent été troublé de ce qui se passe lorsque – certains de – ces Conseillers Fédéraux descendent de charge. J’en ai vu nommés à de multiples Conseils d’Administration (très) lucratifs dans les quelques semaines qui suivent leur retour à la vie civile. Tout cela trop rapidement si on y réfléchit bien.
On peut se poser la question ! Quel est intérêt pour l’entreprise qui les nomme ainsi et va les rémunérer ? Dès lors qu’ils sont « anciens », à quoi peuvent servir ces retraités pour être payés aussi grassement ?
Le vers est donc dans le fruit. Je ne me fait aucun souci quant à l'honnêteté de mes conseillers fédéraux. Par contre on peut s'interroger compte tenu du contexte actuel. Dautant plus que ces anciens ministres disposent déjà d’une pension importante et à vie !
A Bruxelles, on se trouve dans cette situation moins la culture et la sérénité suisses. A supposer qu’un Commissaire soit corrompu – ce qui n’est pas encore démontré - et rende, durant son mandat, d’importants services à une ou plusieurs entreprises privées, pourquoi prendre le risque de le rémunérer sur l’instant avec toutes les traces dangereuses que cela peut laisser alors qu’il est si simple de lui ménager une belle et agréable retraite lorsqu’il aura cessé son mandat ? Il ne sera plus alors sous les feux de la rampe. C'est ce qu'on pensait jusqu'à maintenant. Mais les choses commencent visiblement à changer !
Ce 4 octobre 2016, les eurodéputés ont envoyé un message très clair à la Commission de Bruxelles. Ils réclament des mesures « significatives » à l’encontre de l’ex-président de la Commission M. José Manuel Barroso et d’une de ses ex-commissaires, Mme Neelie Kroes.
En effet M. Barroso a annoncé, au début de l’été, son recrutement par la plus grande banque d’affaires au monde, Goldman Sachs, ce qui a déclenché le tollé que l’on sait. Quelques semaines plus tard, les Bahamas Leaks ont révélé que Mme Kroes, ex-commissaire à la concurrence aurait possédé des intérêts dans une société off-shore sans les avoir déclarés...
Les élus réclament donc des sanctions et des actions rapides et ce, de la gauche à la droite de l’échiquier européen ! Ils ont certainement raison alors que le député M. Pascal Durand souligne que « le départ de M. Barroso [pour Goldman Sachs] est grave parce qu’il s’inscrit dans une décennie de perte de légitimité de la Commission, vue désormais comme la défenseuse des intérêts privés. »
« Il est choquant d’entendre … que tout cela ne relève que de la morale personnelle » surenchérit la députée européenne Mme Virginie Rozière qui réclame, comme beaucoup de ses collègues, « un comité d’éthique indépendant, une cooling-off period plus longue, et des sanctions plus lourdes » pour les commissaires indélicats.
Ces affaires deviennent des scandales et c’est regrettable. Elles affaiblissent l’Europe et ternissent son image au moment où son autorité s'affaiblit structurellement.
Nous nous trouvons là, si les faits sont avérés, devant une « corruption » au sens de l’altération de la substance par la décomposition... L'Europe entrerait en voie de décomposition par manque de la vertu nécessaire à tout mandat public.
Quelles solutions peut-on imaginer ? Cela est très difficile lorsque l’éthique et la conscience de chacun ne suffisent plus à auto-réguler les comportements et à tendre vers l’Excellence.
Le premier point est d’importance : les retraites versées au titre d’un emploi public ne doivent être que des garanties de ressources qui ne sont versées que lorsque l’intéressé n’a pas d’autres revenus égaux ou supérieurs lors de son retour au privé. Cette règle s’applique souvent en Suisse et dans de nombreux Cantons.
Le deuxième serait beaucoup plus important : lorsqu’une personne ayant occupé un emploi public trouve ensuite un emploi privé, si celui-ci dure plus de douze mois, il perd définitivement le droit à la retraite qu’il toucherait s’il restait sans emploi. Une telle démarche serait un commencement à la moralisation souhaitée du système car peu de corrupteurs possèdent les qualités à même de faire d’eux des "amis" fidèles…