Le Forum de Crans Montana à Athènes sous le charme du Premier Ministre turc, Mme Tansu Ciller
Avril 1992. Le gouvernement grec est très reconnaissant au Forum de Crans Montana d'avoir été à l'origine de son admission dans le processus de coopération de la Mer Noire. Cela s'est en effet passé en Suisse, à Crans-Montana, en juin 1991.
A sa demande donc, j'organise à Athènes la première Conférence Méditerranéenne de l’ère postcommuniste, incluant la Mer Noire. Je pense en effet que cette dimension Pont-Euxin est indispensable à toute approche géostratégique de la Méditerranée.
Comment peut-on parler de coopération ou de sécurité en Méditerranée sans tenir compte du fait que la flotte russe est à Sébastopol et qu'une quantité phénoménale du pétrole mondial passe par le Bosphore ?
De nombreuses délégations sont annoncées venant du monde entier. Même le Président de l'Estonie, le regretté Lennart Meri m'appelle :
- Vous voulez bien m'inviter avec mon épouse ? Je n'ai jamais vu la Méditerranée ! Je serais si heureux d'être là...
Comment lui refuser ? Lennart Meri et Vytautas Landsbergis en Lituanie - pour le mentionner - sont de vieux compagnons de route. Alors que les Etats Baltes se battaient pour leur "retour à la souveraineté" le Forum de Crans Montana les a beaucoup aidés et appuyés. Cela crée des liens.
Pour revenir à la préparation du Forum, les Grecs semblent totalement dépassés par les événements alors qu’une telle conférence représente un atout majeur pour le Gouvernement Mitzotakis.
Au Forum d'Athènes, le Président de la Roumanie avec Mme Christiane Scrivener, Membre de la Commission Européenne
Mais tout est prétexte à stress, énervement et ratages. La veille de l'ouverture je me rends avec la Vice-Ministre des Affaires Etrangères chercher Ion Iliescu le Président de la Roumanie à l'aéroport. La venue du Président roumain est un événement important pour les Grecs. Ils ont mis les petits plats dans les grands. L'accueil à l'aéroport est pratiquement du niveau de la visite d'Etat. Tout va bien - pour le moment - on se dirige vers le cortège de voitures, une trentaine au minimum avec les escortes de police.
Je suis dans la voiture du Président avec la Vice-Ministre grecque. Nous roulons vers l'Hôtel Hilton. Soudain je m'aperçois que nous ralentissons, et de plus en plus, que des centaines de personnes marchent à gauche et à droite du véhicule. La sécurité est affolée. Le cortège s'arrête, bloqué. On ne voit plus rien dans la voiture car les fenêtres sont obturées du fait de ces gens qui se pressent maintenant contre nous. On va rester bloqués une petite heure.
La Police s'est trompée d'itinéraire... tout simplement ! et nous sommes complètement bloqués dans le cortège de milliers d'Athéniens qui accompagnent le maire d'Athènes à sa dernière demeure. Il est mort quelques jours auparavant ! Toute l'organisation a été de cette eau mais, le plus souvent dans une atmosphère de détente, de courtoisie et de sourires il faut le dire..
Finalement ce forum se déroulera bien, les contacts se révélant excellents entre les délégations. C'était notre but. A Crans Montana, je n'ai pas pour ambition de refaire le monde ni de décrocher le Prix Nobel de la Paix mais tout simplement d'aider concrètement gouvernements et entreprises à mieux se connaitre et coopérer.
Il y a eu tout de même quelques moments charmants et savoureux. Le Forum doit s’achever par un dîner de gala offert par le Premier Ministre grec Constantin Mitzotakis dans le Ball Room de l'Hôtel Hilton. Le service du protocole du Premier Ministre me contacte avec autorité et non sans arrogance, Il est très ferme : l'organisation des tables et notamment des places de la table officielle ressortent de sa compétence exclusive. Je ne peux que m'incliner et je vois que je ne peux même pas discuter ou suggérer quoi que ce soit.
J'apprends ainsi avec stupéfaction qu'il n'y aura aucune femme à la table d'honneur ! En aucun cas ! C'est une décision du Premier Ministre lui-même.
Je tente en vain d'intervenir et de plaider pour les épouses rappelant que nombre de Chefs d'Etat et de Premiers Ministres sont venus accompagnés. On ne peut traiter ainsi leurs femmes ! Je demande d’ailleurs ce que l'on va faire du Premier Ministre lituanien qui est... une femme ! Là je fais mon effet. Finalement, elle aura sa place à la table d’honneur. Et son mari ? Autre problème métaphysique. Il sera aussi à la table.
Le moment du dîner approche. Je fais un petit tour dans cette immense salle. Je vois que toutes les autres tables sans exception sont "free seating". Je prends alors des initiatives de mon côté pour qu'un minimum de courtoisie soit respecté : on ne peut placer le mari et dire à l'épouse qui l'accompagne de se débrouiller toute seule ! Du moment que je ne touche pas à la table d'honneur, on me laisse faire.
20:30 heures, heure donnée par le protocole. Tous les participants au dîner sont maintenant présents dans le hall du Hilton, y compris les Chefs d'Etat et de Gouvernement qui bavardent entre eux debout derrière leurs chaises assignées tout en cherchant à faire bonne figure devant les exclamations non dissimulées de leurs épouses qui ne comprennent pas ce qui se passe.
Le Premier Ministre qui doit arriver en voiture, accuse un retard qui devient important. La sécurité s'affaire devant l'hôtel dans tous les sens mais on en voit rien venir !
Plus d'une heure passe. Une sirène annonce finalement le cortège du Premier Ministre Constantin Mitzotakis qui fait une entrée royale et largement souriante dans le hall de l'hôtel sous des centaines de flashs de la presse locale.
A ma grande surprise, je le vois sortir de sa voiture avec son épouse et sa fille. On se dirige au pas de charge vers la table d'honneur. Manifestement, le Premier est nerveux et pressé. Mitzotakis s'assied d'autorité à sa place sans saluer personne et dispose directement à sa gauche et à sa droite sa femme et sa fille, sans tenir compte des cartons pourtant positionnés par son propre protocole qui sont naturellement, à cet emplacement, ceux de Chefs d'Etat. Les premiers deviennent instantanément les derniers qui doivent alors trouver un siège. Mais où ?
Au Forum d'Athènes, Anatoly Sobchak avec un membre de mon Conseil de Fondation
Anatoly Sobchak, Gouverneur de Saint-Petersbourg et Représentant de la Russie est totalement perdu. Naturellement le service du protocole du Premier Ministre n'est plus là. Certains s'esclaffent. On rajoute des chaises en bout de table. On se bouscule. Finalement tant bien que mal, tout le monde s'assied dans une atmosphère de buzuki.
Pour l’anecdote, SAS le Prince Anton Liechtenstein est placé carrément au bout de la table, près de l'orchestre qui se déchaîne en l'honneur du maître des lieux. Sur le magnifique carton du protocole, placé devant lui son nom, "Prince Anton von und zu Liechtenstein" est devenu - je répète fidèlement - "Mr. Aaron von und zu". Rompez les rangs ! Une sono d'enfer va empêcher, toute la soirée, toute tentative de conversation.
Andonis Samaras au Forum d'Athènes
En face du Premier Ministre Mitzotakis est assis son Ministre des Affaires Etrangères, Andonis Samaras, qui ne lui adressera ni un mot ni un regard durant tout le dîner. La tension est palpable et les invités sont gênés. Au dessert, on voit une nuée de journalistes envahir la salle du dîner et se diriger vers le Ministre qui fait alors face à la presse en tournant le dos au Premier Ministre tout en restant sur sa chaise.
Il annonce alors brutalement, dans un bruit d'appareils photos et de caméras ahurissant sa démission du Gouvernement.
Andonis Samaras annonce sa démission de Ministre des Affaires Etrangères
Sans plus, il quitte la salle, laissant sa place vide et ses voisins abasourdis.
Mitzotakis pensant le moment venu, prend alors la parole en s'emparant du micro de l'orchestre de bouzoukis. Pas un mot de bienvenue, pas un mot à l'endroit des hautes personnalités qui sont là. Comme si de rien n’était, il parle de la politique européenne de son Gouvernement pendant de longs moments. Puis il s'arrête, revient à sa place, fait signe à son épouse et sa fille et quitte la salle !
On se passera donc et à regret de lui pour se retrouver au bar de l'hôtel, au dernier étage, près de la suite du Président Iliescu qui, comme à son habitude est d'excellente humeur, sourit et parle à tous. C'est lui qui devient l'hôte de tout le monde. Attentionné il sert à boire aux invités et à leurs épouses. Nous admirons, magnifique lot de consolation, la vue de cette ville merveilleuse loin de la politique politicienne. Athènes, décidément, n'appartient à personne...
Parmi les nombreuse anecdotes de ce forum, il en est une autre que je ne peux passer sous silence.
Dans les accords passés avec le ministre des affaires étrangères, figure noir sur blanc la prise en charge par le Gouvernement des frais de séjour des délégations officielles. C'est un minimum compte tenu des usages en matière de courtoisie internationale.
Le dimanche matin le forum est terminé, j’ai l’intention de déjeuner avec le Président estonien, M. Lennart Meri, et le maire de St Petersbourg, Anatoly Sobchak à Vouliagmeni. Tout le monde est en tenue décontractée à l'idée de passer un merveilleux moment au bord de la mer.
Sortant de l'ascenseur du Hilton, je vois tous mes participants agités. Je suis saisi par de vives protestations exprimées dans de nombreuses langues. C’est alors que le Ministre de l’Economie égyptien vient vers moi, visiblement énervé :
- Faites quelque chose, nous voudrions nos valises pour partir !
Je ne comprends pas. Je remarque alors, le long du mur d’entrée de l’hôtel, une impressionnante rangée de valises d’une vingtaine de mètres, toutes immobilisées par une chaîne qui passe dans leurs poignées et fixée, à son extrémité au mur par un solide cadenas.
Le Gouvernement grec a décidé, motu proprio, durant la nuit de ne plus prendre en charge les extras des Chefs de délégation comme cela avait été convenu au départ. Pour certains cela ne pose aucun problème. Pour d'autres, c’est en revanche un problème sérieux car ils n’ont ni cartes de crédit ni les devises nécessaires pour payer leurs suppléments.
C'est dimanche, nul n’est joignable dans les ministères et le directeur de l'hôtel est parti en week-end. Quant aux employés de l’hôtel, s’en tenant aux instructions qu'ils ont reçues, ils ne veulent rien entendre. On paie ou on garde les bagages !
Ces délégations sont les invitées de mon Organisation, non du gouvernement grec. C'est sur mon invitation qu'ils sont venus et je suis responsable de la bonne fin de leur séjour. Je m’approche donc de la caisse et demande le coût total de ces extras. Je m’entends répondre "2850 dollars". Une somme ridicule. Je propose alors au caissier de charger ma note et de libérer les bagages. Refus :
- On ne libérera les bagages que lorsque la note sera effectivement payée
Je donne ma carte de crédit et exige qu’on libère les bagages.
Nouveau refus.
Il faudra attendre l’autorisation de débit d’American Express pour qu’enfin cette chaîne soit enlevée et que cesse cette situation ... inhabituelle