Lorsque je rendis visite au Premier ministre de Malte en 2013 et compte tenu de l’amitié que je porte à son pays depuis 1995 (j’y ai organisé un magnifique forum de la Méditerranée avec Yasser Arafat, Tansu Ciller et tant de hautes personnalités...) je sentis de mon devoir, en présence de son plus proche collaborateur, M. Schembri, d’attirer lourdement son attention sur le fait que plusieurs de ses initiatives dont son programme de vente de naturalisations risquaient fort de lui sauter au nez compte tenu du contexte très particulier dans lequel il les organisait !
Manifestement il n’apprécia pas mes remarques, le manifesta avec une certaine humeur, et la conversation tourna court... visiblement je dérangeais !
Il suffit maintenant, six ans après, de lire la presse pour se rendre compte de l’ampleur prise par cette terrible affaire !
L’article qui suit est volontairement l’un des plus soft que vous trouverez dans la presse maltaise !
Amb. Jean-Paul Carteron hosted a friendly diner at Hotel Le Plaza in Brussels
From left to right : Mrs. Michele Verschoore Chief Medical doctor at L’Oreal, Mrs. Maria-Helena Semedo Deputy Director Geberal of FAO, Mr. Mose Moses Kouni Ambassador of Solomon Islands to European Union, Mrs. Josefa Leonel Sacko Commissioner for Agriculture at the African Union, Jean-Paul Carteron, Mr. John Moffat Fugui Minister of Education of Solomon Islands and his wife.
Il est environ quinze heures lorsque quelqu'un frappe à ma porte. Je pense à un voisin - tout l'étage est occupé par de jeunes gardiens de la paix. J’ouvre et fais face à un monsieur de type méditerranéen, élégant et très essoufflé. En effet les sept étages d'escalier nécessitent entrainement et jeune âge.
Il se présente. C'est l'Ambassadeur de la République Arabe Unie (Egypte) en France. Rencontre inattendue qui me surprend. Il m'explique qu'il vient me remettre une lettre personnelle et manuscrite du Président de la République Arabe Unie, le Colonel Gamal Abdel Nasser. Il porte d'ailleurs cette enveloppe comme le Saint Sacrement ! Je lui demande de me traduire le document rédigé en langue arabe. Le Président Nasser me remercie d'avoir été l'étudiant français ayant vendu le plus de timbres pour le sauvetage du Temple d'Abu Simbel. Il est vrai que je me suis passionné pour cette cause et que j'ai consacré, en fédérant nombre de mes amis étudiants, beaucoup de temps à cette entreprise que je trouvais passionnante. Il s'agissait de financer le démontage pierre par pierre de ce temple exceptionnel pour le reconstruire sur la colline voisine et le faire ainsi échapper à la montée des eaux résultant de la mise en eaux du Barrage d'Assouan.
Qui plus est, il m'invite personnellement à visiter son pays - pour le temps que je souhaite - et naturellement, le "nouvel" Abu Simbel. Quelle histoire insensée pour un étudiant comme moi qui travaille le soir pour vivre à peu près décemment ? Je raconterai le détail de ce voyage magnifique. Pour l'instant je parlerai simplement de mon étape d'Alexandrie sur le parcours qui m'amènera dans tous les grands centres de l'Egypte.
En tant qu'hôte du Chef de l'Etat, je vais en effet, au cours du mois de juillet 1966, être logé pour deux nuits au Palais Montazah. C'est une superbe construction qui remonte à la fin du XIXème siècle, situé à 15 kilomètres du centre-ville d’Alexandrie. Il surplombe la mer et bénéficie d'un bel accès à une plage privée. Il fut initialement la résidence du khédive Abbas Hilmy avant d’accueillir les hôtes du roi Farouk d’Egypte et le roi lui-même avant son départ pour l'exil. Depuis la Révolution de Nasser, il est occupé par le Président égyptien et ses hôtes de passage. Il abrite de nombreux vestiges de la Famille royale égyptienne. Il se situe au sein d’un vaste domaine composés de superbes jardins dans lesquels se trouve également le Palais El Salamlek qui deviendra plus tard un hôtel de luxe.
Il fait très chaud et je demande à aller me baigner dans ce lieu exceptionnel. La plage est à moi car tout est privé. Pas tout à fait à moi car, sous un parasol isolé se trouve un homme qui lit. Me voyant patauger dans l'eau, celui-ci me fait signe de le rejoindre ce que je fais. Il se présente et son nom m'est totalement inconnu : Yasser Arafat. Il ne porte pas encore le kefieh qui deviendra son symbole. Nous parlons beaucoup et dînons ensemble.
Je suis assis sur la plage du palais de Palais Montazah à Alexandrie, en discussion avec l'équipe Arafat, seule photo fixant ce moment...
Je ne comprends pas grand chose, à cette époque, à ces questions politiques qui semblent le passionner. Je suis en effet un étudiant de 20 ans et 1968 n'est pas encore passé par là. Tout ce qui touche à la politique m'est étranger. A Paris, le conflit israelo-palestinien est un sujet de discussions enflammées dans les milieux étudiants, mais entre initiés. Les choses commenceront à changer en 1967 avec la guerre des six jours. Je me souviens que l'agence de voyage EL Al, rue de la Paix, avait placardé une grande affiche avec la mention "Visitez les Pyramides avec El Al" sur le fond d'une photographie représentant le Sphynx...
Yasser Arafat, très spontanément, se montre avenant et manifeste vis à vis de moi une tendresse quasi-paternelle qui ne se démentira pas au cours des nombreuses années qui, jusqu'à sa mort en feront un ami cher bien que fort lointain à certaines périodes.
En effet, je ne le verrai que rarement jusqu'en 1982. C'est à ce moment là, en pleine guerre du Liban, qu'Arafat échappe à la mort en quittant un immeuble réduit à terre par une bombe israélienne. Escorté et protégé par les troupes française dépêchées par le Président François Mitterrand, il quitte alors Beyrouth, assiégée par l’armée israélienne, à bord d’un navire militaire français vers la Grèce puis la Tunisie.
Le président tunisien, Habib Bourguiba finit par accepter de le recevoir à Tunis à la demande de la Ligue arabe et de la France.
Les choses se stabiliseront vraiment pour Arafat en 1987 lorsque Zine el-Abidine Ben Ali devient Président de la République tunisienne. A ce moment là, le pays est en proie aux luttes de succession, aux tensions politiques et économiques et, déjà, à la montée de l'intégrisme. Zine el-Abidine Ben Ali protégera Yasser Arafat et l'assistera dans son exil. C'est ainsi qu'il mettra à sa disposition, à temps plein, un avion d'affaires qui redonnera vie à son existence politique internationale. Au delà de tout ce que l'on peut dire sur son régime et qui ne nous intéresse pas ici, Ben Ali a permis, avec courage et persistance, au peuple palestinien, au travers de son chef, de disposer d'un leadership visible et actif. Ce point au moins est positif.
A Tunis, Yasser Arafat dispose, à titre personnel, d'une villa modeste sur les contreforts de Tunis, en aval de l’hôtel Hilton, dans laquelle on pénètre en traversant une petite cour où se trouvent ses gardes du corps, étonnement jeunes - c'est ce qui me frappe le plus lors de ma première visite sur place. Quand on entre dans la maison, sur la droite se trouve son bureau, immense, dominé par une imposante photo de la Mosquée de Jérusalem, objet de la nostalgie permanente de Yasser Arafat, et prolongé par une longue table de conférence. Sur le mur, à côté du bureau, posée à même le sol, une carte hydrologique de la Palestine "Tu sais Jean-Paul, qui n'a pas vu cette carte ne comprendra jamais rien à la crise du Moyen-Orient. Les Israéliens veulent l'eau, ils la prennent, aux Syriens comme à nous. Nous, on peut mourir...". Les grands rideaux sont d'un vert triste et délavé et la lumière blafarde, diffusée par des tubes de néon agressifs auxquels il semble curieusement habitué. C'est ainsi que vit Yasser Arafat. Tout au long de sa vie, je ne le verrai que dans cet uniforme vert, dans un cadre d'inconfort total. Un jour, à Gaza, alors que nous sommes dans son bureau du bord de mer à discuter, je lui demande la permission d'aller aux toilettes. Il m'indique, pour m'éviter de repartir dans les couloirs, la porte de sa chambre, à gauche derrière son fauteuil. Je la traverse avant d'accéder aux toilettes. Il y a là, pour tout mobilier, un lit militaire très rudimentaire, une table occupée de nombreuses boîtes de médicaments et un vélo pour l'exercice... Je ne peux même pas sortir marcher sur la plage. Ma Sécurité me l'interdit...
Je me suis souvent rendu à Tunis visiter Yasser Arafat dans la période qui précéda son retour en Palestine. Quand je venais le voir, le protocole était rituellement le même. J’étais accueilli à l'arrivée à l'aéroport de Tunis-Carthage par un commissaire tunisien qui me dirigeait discrètement vers un salon donnant directement sur un petit parking de l’aéroport où se trouvaient les véhicules d’escorte de l'OLP. Yasser Arafat avait en Tunisie un statut internationalement indéfini mais était traité comme un Chef d'Etat. Il y était hébergé avec des privilèges "de siège", accordés habituellement aux Organisations Internationales. Ses invités étaient traités off shore par la sécurité tunisienne et les formalités étaient abrégées. Une limousine me faisait alors traverser Tunis, suivie d’une 4 x 4 où prenaient place des militaires armés portant l’insigne de l’OLP. On m’amenait à l’hôtel Hilton dans une chambre déjà réservée. Immuablement, je devais être prêt dans le hall vers 23 heures. Son protocole arrivait alors et attendait en ma compagnie un "top départ" donné par radio pour que nous nous mettions en route.
L'attente était parfois longue. Au bar du Hilton, des hommes nombreux traînaient, discutaient, buvaient, sommeillaient, Tunisiens, Arabes, Européens et surtout, à cette époque, Libyens. Logique. La Libye a longtemps été sous embargo : tout vol aérien à destination ou en provenance de Tripoli était interdit. Les Libyens avaient donc peu de moyens pour voyager. Le principal était de se rendre par bateau jusqu’à Malte pour y prendre un avion. Ces sanctions ont d’ailleurs fait la fortune de cette belle île, devenue la résidence secondaire de la Libye, ainsi que celle des ferries aux magasins luxueux et bien achalandés. Durant l'embargo, des Airbus y acheminaient les Libyens en transit. Les autres voyageaient par la route jusqu’à Djerba et s’envolaient ensuite vers le monde depuis le petit aéroport de l’île. D’autres aussi passaient par Tunis tout simplement pour y goûter la douceur de vivre. C’est ainsi que j'y rencontrais quelques fois pour dîner, toujours au Hilton, M. Mountasseur, ministre libyen des Affaires étrangères qui y avait ses habitudes à un étage qui lui semblait largement réservé. Il faisait venir à Tunis ses invités grâce à un lear jet qui volait sous drapeau maltais et maintenait ainsi ses relations internationales.
A 23 heures donc, j’étais prêt, dans le hall de l’Hilton, attendant l’instant où j’allais être conduit vers la résidence de Yasser Arafat. A ce moment-là arrivait un membre de son protocole qui m’expliquait immanquablement qu’il me fallait attendre en raison d'un empêchement de dernière minute. Vers minuit ou plus tard, une voiture arrivait pour me conduire à la villa en traversant le quartier résidentiel de la capitale. Un portail, encadré de hauts murs, donnait accès à une cour au fond de laquelle se trouvait l’entrée de la maison, quadrillée de militaires. On m’introduisait dans un hall sur lequel donnait la porte de cette grande pièce sinistre : celle où travaillait habituellement Yasser Arafat. Il cultivait l’amitié et la manifestait de manière affectueuse et douce. Il avait une manière inoubliable de vous embrasser et de serrer votre main qu'il mettait longtemps à vous rendre. Il émanait de lui un sentiment de solitude impressionnant et un appel au contact tout aussi marquant.
Là, installés dans de mauvais fauteuils dont il était difficile de sortir, tout en buvant du thé accompagné de pâtisseries tunisiennes " Je ne sais pas comment ils font ici, les pâtisseries marocaines sont bien meilleures !". Nous passions alors la nuit à refaire le monde. N’étant pas un officiel, je représentais dans son agenda une parenthèse de détente et d'ouverture. Qui plus est, il m'avait connu tout jeune étudiant. Il y avait certainement chez lui la nostalgie du temps passé et d'une vie plus tranquille alors que son âge avançait. Il me parlait librement et avec confiance. Mais de grands moments de silence émaillaient nos conversations. Ils me surprirent au début. Mais je sentis, au bout d'un certain temps, qu'ils les appréciait et qu'il était bon de les respecter. Le silence, apprécié des seuls initiés, était pour lui un extraordinaire moyen de communiquer et d'infuser la chaleur de ses sentiments.
C’est ainsi, au cours de ces rencontres de Tunis de Gaza, de Ramallah et d'ailleurs, qu’il me raconta plein d'histoires passionnantes dont son accident d’avion dans le Sahara en avril 1992. C’était à l’occasion d’une discussion que nous avions au sujet des très jeunes soldats qui formaient sa garde prétorienne à Tunis : « A moi seul je suis un être isolé et un Etat. Un Etat avec d’énormes charges financières. Un Etat doté d’un véritable budget et de ressources qui doivent être régulières pour des dépenses qui ne le sont pas moins. Je verse des pensions, des retraites, des indemnités pour les combattants de l’OLP. Les jeunes que vous voyez dehors sont ici avec l’assentiment de leurs parents ou de leurs épouses, prêts à donner leur vie pour moi. S’il leur arrive malheur, leurs proches seront indemnisés comme toute famille de militaire dans un pays normalement organisé. Si je cesse d’offrir cette garantie et de payer les pensions aux parents, aux veuves et aux orphelins, je me retrouverai seul. L'engagement politique a une limite dans le monde d'aujourd'hui. Alors il me faut un véritable budget. Mes détracteurs calculent ce qu’ils pensent que j’encaisse et m'accusent de détourner cet argent. Calculent-ils ce que je dépense ? Moi, à titre personnel, je ne dépense rien »
Mais il existe aussi un dévouement qui, ultime, ne peut trouver son origine que dans la par pure conviction et la totale abnégation. L'histoire qui suit en est la plus belle illustration. En 1992, Yasser Arafat se trouve dans un jet privé aux couleurs de Tunis Air d’une dizaine de places - que le Président Bin Ali a toujours mis à sa disposition -, il voyage au dessus du désert libyen. Quelques jours plus tard il doit d'ailleurs me rejoindre à Athènes où j'organise le premier Sommet de la Méditerranée de l'ère post-communiste à l'initiative de Andonis Samaras, le Ministre des Affaires Etrangères de Mitzotakis.
Comme dans un mauvais film, les pilotes constatent soudain que les réservoirs perdaient régulièrement leur kérosène et en grande quantité ce qui hypothèque définitivement la suite du voyage. Il ne reste plus que quelques minutes d’autonomie de vol. Il leur faut se poser en urgence, de gré ou de force. N'importe où. Mais justement où ? Au sol, une violente tempête de sable interdit toute visibilité. L’atterrissage de l’avion sera immanquablement catastrophique et il y aura des victimes. En quelques instants, la décision est prise par l’entourage du Président. Les pilotes choisissent sans hésiter de se sacrifier. Il n'y a pas de discussion. Pour eux c'est un fait acquis. Ils savaient qu'en "plantant" l'avion vers l'avant, ils ont une chance d'épargner la partie arrière de la carlingue qui, en l'absence de kérosène ne prendra pas feu. Les gardes du corps décident également de se sacrifier pour protéger Arafat. Afin d'amortir au maximum la violence du choc, ils s'enroulent physiquement autour de lui faisant ainsi une sorte de protection humaine au centre de laquelle il placent leur chef. L'avion se posa à l’aveugle et s'écrase sur l'avant comme prévu. Les pilotes et les gardes qui entouraient Arafat de leurs corps meurent. Yasser Arafat est blessé mais légèrement.
Cette histoire, qui fait partie du quotidien du Chef de l'OLP, j'en appris les détails lors d’une visite à Tunis. Elle est, à elle seule, significative du charisme et de l'emprise exercée par Arafat sur son entourage et, surtout, la jeunesse. On comprend mieux alors pourquoi Israël, sous de multiples prétextes, a toujours rejeté cet homme rayonnant et cherché ses interlocuteurs palestiniens dans des personnalités mois bien trempées.
Nous avons souvent et longuement parlé de l'Intifada : "En faisant trainer les choses, en colonisant Israël ruine tout espoir de normalisation avec nous. Et puis, tu sais, les Israeliens ne feront jamais la paix parce qu'ils n'en ont pas les moyens ! Les moyens financiers ! Leur économie largement collectiviste est en faillite. Du fait de cette guerre, ils mobilisent la diaspora et reçoivent des milliards chaque année, notamment des Etats-Unis ! Tu penses bien que le jour où la paix s'installe, la diaspora ne payera plus ! Ils se retrouveront au pied du mur ! Voilà pourquoi je suis désespéré sans jamais le dire "
Un soir, vers la fin, à Ramallah, il me parla longuement des relations entre les Palestiniens et le monde arabe. "Nous sommes des arabes ! Et les Arabes ne nous aident pas. Ou est la solidarité de notre grand peuple. Ou est la solidarité de l'Islam ? Il y deux points importants que tu dois savoir: l'intégrisme islamique et sa déviance terroriste d'une part et la relation fusionnelle entre Israël et les Etats-Unis d'autre part. L'intégrisme est un jouet entre les mains des américains. Ils s'en servent à leur gré, ça les amuse de jouer à ce genre de guerre, mais comme ils n'y comprendront jamais rien, ça leur saute régulièrement à la figure. L'enjeu essentiel pour les Américains, ce sont les ressources pétrolières de la péninsule arabique. Cette région est foncièrement instable, entre les mains dominantes de l'Arabie Saoudite, régime anachronique et rétrograde qui maintien une main de fer sur une population importante pauvre et malmenée. Chaque jour le Roi peut tomber; s'il tombe, en une nuit, les autres monarchies du Golfe s'effondreront et ce seront des révoltes de philippins, d'indiens et de pakistanais qui vont réduire à néant ces constructions fantasmagoriques. Dans ce cas les Etats-Unis perdent leur source privilégiée d'approvisionnement énergétique. Ils ne peuvent se le permettre. Alors ils déploient une politique de chaque instant, psychologiquement envahissante dans ces pays qui ne peuvent même pas respirer sans leur demander la permission. Si jamais les choses se relâchent, qu'un risque d'émancipation apparait comme pouvant se faire jour, BOUM ! une bombe dans un hôtel de Riyadh ou le quartier des diplomates ! Toute la famille royale se met à trembler et à la fin du jour remercie le ciel d'avoir près d'eux ces bons amis américains qui les protègent et ne les laisseront jamais tomber. Ca c'est le premier point. Le deuxième c'est que l'étoile de David pourrait être la cinquantième du drapeau américain. C'est normal, c'est l'électorat juif qui décide de l'élection des Président américains ! Alors il faut y faire très attention et nous, les Palestiniens on est seuls. Suppose qu'un Etat arabe nous assiste, nous aide, nous apporte ne serait-ce que du para-militaire pour équiper nos forces de l'ordre, cela sera immédiatement considéré comme un acte anti-israëlien ! Et BOUM ! On va le déstabiliser chez lui et tout va s'arrêter. Ne te demande pas pourquoi nous sommes seuls. Nous sommes encerclés et isolés... Nous serons toujours seuls..."
L'un des moments les plus extraordinaires que j'ai vécus avec Yasser Arafat est la rencontre que j'ai personnellement organisée pour lui, à sa demande expresse, et le ministre israélien des Affaires Etrangères Shimon Pères en Avril 1994 à Bucarest dans le cadre d'un Forum Extraordinaire de Crans Montana. Ce fut le dernier round de leurs négociations avant la signature des Accords du Caire devant sceller la mise en œuvre du processus de paix (...).
Les chaînes de télévision du monde entier avaient fait le voyage. pendant trois jours, Bucarest fut l'un des lieux où s'écrivait l'histoire du monde.
Le matin de l’ouverture du Forum, en provenance de Moscou se posait sur l'aéroport d'Otopeni le désormais célèbre petit avion de Tunis-Air amenant le Président de l'Autorité Palestinienne. J'étais naturellement à l'Aéroport pour l'accueillir en compagnie d’Adrian Nastase, Président du Parlement.
La sécurité mise en place par les Roumains pour cette rencontre bilatérale était impressionnante. L’aéroport était en état de siège. Des centaines de journalistes avaient été admis dans le salon d'honneur. Dès sa descente d'avion, Arafat se rendit dans cette cage aux fauves. Les questions fusaient en tous sens. Le fidèle Nabil Abourdina assistait le Président Arafat avec brio, discrètement comme toujours, lui soufflant dans l'oreille, de temps en temps, certains mots clé.
Puis il fallut partir car le programme était chargé et, visiblement notre hôte avait besoin de se reposer. Au moment où Arafat quittait le pavillon d’honneur et s’asseyait dans la limousine blindée, une énorme explosion retentit au niveau du moteur ! Une fumée blanche sortit en sifflant du capot. Les gardes du corps se précipitèrent, empoignèrent Arafat et l’emmenèrent, quasiment à l'horizontale, dans le bâtiment de l’aéroport. En fait, ce fut beaucoup d'affolement pour rien.
La voiture était l'une des énormes limousines soviétiques que comptait le garage de Ceaucescu, faute de mieux, le protocole avait pensé bien faire en l'utilisant et une durite, certainement de l'époque stalinienne, n’avait pas supporté que le moteur tournât si longtemps pour chauffer l'habitacle. Elle avait rendu l’âme avec une brutalité inattendue et provoqué une explosion aussi spectaculaire que dérisoire.
Le protocole roumain avait cependant tout prévu; un deuxième véhicule blindé nous permit de prendre immédiatement la route de Bucarest dans la cacophonie des sirènes hurlantes. A très vive allure nous parvenons au Palais de Cotroceni, survolé en permanence par des hélicoptères. Les gens massés sur le parcours applaudissaient le cortège d’une trentaine de véhicules encadrés de motards et qui s'allongeait sur plus d’un kilomètre. D’imposants 4x4 dont on avait enlevé les portes pour que des militaires puissent se tenir debout sur les marchepieds, masqués et armés de fusils automatiques, ouvraient et fermaient le convoi. A chaque carrefour une ambulance attendait, moteur au ralenti, à côté des services de sécurité. C'est ainsi que l'on parvint au Palais.
Là, souriant et décontracté, Shimon Pères attendait déjà en compagnie de Ion Iliescu. Les séances de travail se poursuivirent nuit et jour durant quarante huit heures, le Président de la Roumanie faisant preuve d'une autorité et d'une sagesse remarquables. J'organisais une conférence de presse, à laquelle étaient conviés tous les participants du Forum, pour clore l’événement. Elle dura plusieurs heures. Les Accords du Caire allaient pouvoir être signés.
Quelques mois plus tard, en 1995 j’organisais à Malte le second "Crans Montana Mediterranean Forum". La venue de Yasser Arafat était déterminante pour Malte qui se retrouvait ainsi sur la carte des grands rendez-vous mondiaux. Pour notre organisation aussi qui n’aurait su traiter de sécurité en Méditerranée sans la présence du Président de l’Autorité Palestinienne.
A Malte, le Ministère des Affaires Etrangères est serein. Il y a dans la diplomatie maltaise une certaine nonchalance mêlée d'un éternel fatalisme devant un isolement que rien ne justifie si ce n'est la solitude née de sa position géographique. Malte n'est-elle pas la plaque tournante de la Méditerranée, de son commerce, promise à un avenir que la rencontre Bush-Gorbachev a consacré ? Il est minuit. Arafat doit arriver le lendemain à neuf heures du matin en provenance de Gaza pour passer la journée au Forum et y délivrer une allocution très importante. Je suis dans la chambre de mon hôtel; le téléphone sonne. Je reconnais Nabil Abourdina, le plus proche collaborateur de Yasser Arafat. Il a l'air embarrassé, ce que l'organisateur d'événements que je suis n'aime guère... « Je vous passe le Président ». C’est un homme, comme souvent épuisé, qui me parle. Avec sa chaleur et son émotion habituelles « Mon ami, je suis dans l’impossibilité de venir…les événements se précipitent et requièrent ma présence ici». Mon programme s’effondre ! Un long silence. Puis soudainement, Arafat se reprend « Je vous ai promis de venir … alors je vais venir mais pour quelques heures, je ne voudrais pas manquer cet événement et vous décevoir. Je sais tout ce que vous avez fait pour moi. Je sais que vous m'attendez »
Neuf heures du matin, l’habituel petit avion de Tunis Air se pose sur l’aéroport de La Valette. Guido de Marco, Ministre des Affaires Etrangères et futur Président de la République, est à mes côtés pour accueillir le Prix Nobel de la Paix. Dès son arrivée, Arafat va prendre ma main dans la sienne à sa descente d'avion et ne la lâchera plus jusqu’à son départ qui aura lieu le soir, même lorsqu'il s'élancera au pas de course dans l'escalier du Centre de Congrès pour rejoindre le Salon VIP au deuxième étage. Son programme sera respecté, y compris les interviews télévisées et les audiences protocolaires. Nous montons dans la voiture blindée au pied de l'avion, une limousine allemande que le Gouvernement vient d’acquérir car, dans quarante-huit heures, le Premier Ministre chinois sera également à Malte pour une visite officielle et malte a mis les petits plats dans les grands. Le cortège s’ébranle pour gagner la résidence du Président de la République qui souhaite recevoir le Président Arafat dès son arrivée. Une fois de plus la police maltaise va surprendre. Normalement, pour une personnalité d'importance, il faut au moins deux équipages pour ouvrir la route. Le premier loin en avant et toutes sirènes hurlantes, le second plus proche du véhicule. Les Maltais font l’inverse comme d’habitude. Les deux seuls motards chargés d'ouvrir la route restent à deux mètres de la voiture blindée. A une telle vitesse, on a l'impression permanente qu’on va les percuter. On arrive ainsi sur les obstacles au dernier moment sans que les voitures puissent être utilement prévenues du cortège qui surgit ! Alors que nous entrons dans un immense rond-point, un camion de blanchisserie, sûr de sa priorité et qui n'a pas compris ce qui se passe, percute violemment la portière arrière droite de notre voiture, du côté de Yasser Arafat, projetant notre lourd véhicule dans une glissade interminable. Heureusement il n'y a pas d'autre obstacle. J’aperçois une grappe de militaires se précipiter sur le camion stoppé dans son élan. Dans la voiture, le garde du corps donne calmement l’ordre au chauffeur d’accélérer et nous filons alors dans les rues étroites de La Valette, à très vive allure et sans aucune escorte. C'est un miracle que nous ne provoquions pas d'accident. Nous sommes seuls, il n'y a plus d'escorte et nous arrivons enfin chez le Président, franchissant le poste de garde en manquant d’en pulvériser la barrière.
C’était bien sûr un accident. Ce qui me frappa le plus fut l’absence de réaction d’Arafat au moment de l'accident. A ce moment là, Yasser Arafat m'expliquait pourquoi son épouse avait accouché à Paris et non en Palestine, ce qui avait défrayé la chronique... Le choc violent, la glissade, le démarrage en trombe et les secousses du voyage n’altérèrent pas un seul instant son discours qui continua sans la moindre interruption. Il continua de discuter comme si de rien était. L’habitude, sans doute…
Pour le Forum annuel de juin 1996, je retiens l'idée d'Arafat, compte tenu de mes liens avec Shimon Pères, devenu Premier Ministre après l'assassinat de Yitzaak Rabin, de consacrer une part importante des activités à la situation au Moyen-Orient, de recevoir Israël en tant que pays hôte et d'y consacrer nombre de séance à la coopération entre Israël et la Palestine. L'évolution de l'économie d'Israël est en effet un élément déterminant pour la survie des Territoires palestiniens. Je me rends donc à Jérusalem à la fin 1995 pour rencontrer Shimon Peres Premier Ministre. Il me reçoit à son bureau de Chef de Gouvernement. Il se souvient avec beaucoup de plaisir de la rencontre que j'avais organisée à Bucarest l'année précédente. Il voit dans ma proposition une possibilité stratégique de faire le point sur le Processus d'Oslo.
Je profite naturellement de ce déplacement pour rendre visite à Yasser Arafat à Gaza et au Prince Hassan à Amman en Jordanie.
C'est un contraste terrible de passer d'Israël à Gaza. Israël a toutes les apparences d'un pays riche et les attributs d'une nation hautement industrialisée. Mon ami Shimon Shetreet, Ministre des Affaires Religieuses après avoir été le Ministre de l'Economie du Gouvernement Itzaak Rabin, a mis à ma disposition une voiture officielle. J'arrive au check-point sud d'Israël donnant accès à la bande bande de Gaza. Au centre d'une immense esplanade déserte, un mirador, en fait un poste de police abrite des militaires israéliens lourdement armés. Sur le côté gauche, un couloir grillagé voit s'entasser des centaines de pauvres gens qui tentent d'entrer sur le territoire israélien. D'autres gigantesques miradors dotés de mitrailleuses dominent l’ensemble. Pas un uniforme palestinien à l'horizon. Le chauffeur de ma voiture s'arrête. Il ne peut aller plus loin. Je pars donc à pieds, sous un soleil de plomb vers l'autre partie du check-point, en tenant mon passeport suisse à la main, bien en vue.
Au poste de contrôle, on scrute mes papiers et tous ses tampons. Cela est long, peu sympathique. Je sens que le but de ma visite n'est pas particulièrement apprécié Finalement, je suis autorisé à poursuivre les 300 mètres du terre-plein désert. J’aperçois au loin quelques uniformes palestiniens qui me font un signe amical. Ils n'ont pas le droit d'avancer à ma rencontre. Une villa se trouve là, le long de la route où je suis accueilli chaleureusement avec une tasse de thé avant de monter en voiture pour partir vers le centre de Gaza. Un véhicule de police nous ouvre la route. En deux cents mètres, je pénètre dans la misère et le dénuement. Les routes, pleines d’ornières, n'ont jamais été vraiment construites. Les bas-côtés laissent découvrir des habitations désolées. Nous sommes déjà dans Gaza, où se presse dans les rues une foule désœuvrée, peu curieuse des gens qui passent. La voiture avance péniblement. Le militaire palestinien me confie : "le Président Arafat nous a interdit les sirènes…Vu les conditions dans lesquelles vit la population, ce serait les insulter !" Arrivés près de la mer, nous passons une chicane militaire et entrons dans la zone protégée d’une villa dans laquelle se trouve la Présidence de l'Autorité Palestinienne. Un bâtiment de trois étages. Les couloirs sont pleins de gens affairés, qui montent et descendent les escaliers, des papiers à la main. Je suis introduit dans un salon dont les fenêtres sont aveugles.
Yasser Arafat entre et m'étreint longuement. Il a parlé au téléphone à Shimon Peres. Il me fait part des difficultés existentielles dans lesquelles il se trouve mais me confirme son intention de se rendre à Crans Montana, comme il est y était déjà venu, dans le cadre de mon projet.
Mais dans les semaines qui suivent ma visite, Shimon Pères précipite les élections et les fixe au printemps 1996. Il se trompe. Il va les perdre. Ces élections verront Netanyahou accéder au poste de premier Ministre. Le Likoud revient au pouvoir ce qui n'est pas bon signe pour ce processus d'Oslo déjà en bien mauvais état. Tout cela se passe à la veille de l'ouverture du Forum. Le nouveau Gouvernement israélien est présenté à la Knesset. Mon programme ne tient plus, il s’en trouve complètement bouleversé, puisque Israël et ses relations avec la Palestine sont le thème essentiel du Forum. Je conviens finalement avec Dary Gold, l'un de ses proches collaborateurs, que Netanyahou fera une intervention par satellite et que son Conseiller pour les affaires étrangères, l'ambassadeur Shoval, se rendra à Crans Montana pour présenter la politique du nouveau Gouvernement. Le tout en l'absence de Yasser Arafat qui ne peut plus quitter Gaza.
Au Forum, l'ambassadeur Shoval est un émissaire très attendu et la salle est pleine pour l'écouter. Il intervient alors avec une violence rare, totalement inappropriée. Tous les délégués sont abasourdis par sa déclaration "Jamais Monsieur Netanyahou ne serrera la main d'Arafat (sic)". Les délégués arabes, nombreux, quittent immédiatement la salle. Dès la fin de son intervention je le prends à part "Comment pouvez-vous dire cela ? Yasser Arafat est votre seul interlocuteur légitime. Il a tant de mal à fédérer toutes les tendances qui s'agitent autour de lui. Si vous refusez le contact, vous le désavouez, vous lui enlevez sa légitimité. Vous devenez l'allié du Hamas. Si Arafat n'existe plus vis à vis de vous, vous allez à l'explosion totale !"
Je rapporte immédiatement ces propos à Jean-Pascal Delamuraz, Président de la Confédération suisse, juste avant que celui-ci ne reçoive Shoval en audience dans un salon attenant. L'entretien qui va suivre sera houleux. Je n'entends que des paroles fortes et indistinctes à travers la porte... Shoval s'en va.
Quarante-huit heures après, Dary Gold rencontrera le Président Arafat et les deux leaders finiront par se serrer la main dans les quelques jours qui suivront...
Au moment où j'écris ces lignes, nous avons atteint le pire. Où va la Palestine ? Où va Israël ? Plus aucun principe n’est respecté, les résolutions du Conseil de Sécurité sont ignorées. Les colonisations, subtilement organisées ne permettent plus de dessiner un Etat palestinien viable.
En 1996, avant de nous quitter, Lea Rabin m’a désigné comme le seul héritier spirituel non juif de Itzak Rabin, me donnant pour mission écrite de fonder la « Fondation Itzaak Rabin pour la Paix ». Depuis, j’attends des jours meilleurs pour mettre en oeuvre cette dernière volonté. Quand viendront-ils ?
Juillet 1966 - C'est à vingt ans, alors que je suis étudiant que je me trouve lancé sur une trajectoire inimaginable, provincial peu instruit de la chose politique, surtout internationale... Je vais rencontrer un monstre sacré, non seulement du moment mais de l'Histoire du monde !
Je suis l'invité personnel, en Egypte, pour le temps que je veux - je limiterai mon voyage à deux semaines - de Gamal Abdel Nasser, deuxième président de l'Égypte post Farouk. Je vais rencontrer celui qui est à l'origine de l'idéologie que l'on appellera "nassérienne", l'un des plus grands meneurs d'hommes et de peuples du monde arabe.
Invité par le Président Nasser à visiter l'Egypte en juillet 1966, je décide de m’y rendre en bateau afin de faire durer le plaisir. On m'a en effet laissé le choix du moyen de transport. C'est ainsi que je reçois par l'ambassade à Paris, un billet de Première Classe sur un paquebot de la compagnie « Hellenic Mediterranean Lines », partant de Marseille à destination d'Alexandrie, via Gênes, Naples et Le Pirée. J’en profite pour faire le périple avec deux camarades de faculté. Pour ce faire, je change mon billet de « première classe » contre trois passages en « classe pont » afin de financer le voyage de mes amis qui sont dans la même situation financière que moi.
Voyager en « classe pont » c'est disposer, pour tout confort, d'une chaise longue sur le pont réservé aux étudiants et passagers peu argentés. Elle devra servir de siège pendant la journée et de couchette la nuit. La chaise longue est disposée près des canots de sauvetage. Il faut être prudent quand la mer bouge car on peut glisser sous le canot et tomber dans l'eau. Il faut s’approprier cette chaise longue de haute volée à l’embarquement car il y en a très peu et savoir la garder tout au long des escales même s'il faut descendre à terre acheter quelques tomates pour se nourrir. Nous vivons toutefois ce voyage comme un rêve, même si de vraies douches nous manquent. Nous imaginons alors, la nuit tombée, de troquer nos maillots de bain contre le costume que nous gardons précieusement dans une valise afin de passer discrètement en Première Classe. Après nous y être faufilés, nous nous dirigeons vers une salle de bain commune que nous avons localisée dans le couloir des Premières et y prenons une douche paradisiaque après une journée de soleil et d'air salé. Ensuite, de nouveau revêtus de nos costumes nous gagnons le bar des premières pour y savourer un Martini avant de regagner notre pont, nous changer à nouveau et nous glisser dans nos sacs de couchage.
C'est au bar des Premières que je fais alors la connaissance du Consul Général de France à Beyrouth, un certain Santi. Sa conversation - il a trouvé en nous la petite cour qui semble lui être nécessaire - légitime notre présence en cet endroit exclusif et réservé. Nous passons ainsi des heures à écouter ses péroraisons ... en buvant sur son compte. Il refait le monde à lui tout seul. Car l’arrogant personnage a entrepris de nous impressionner. Il se prend pour l’un des grands décideurs de la planète alors qu'en réalité il passe sa vie à tamponner des passeports. Nous entrons dans son jeu car sans lui on finirait par nous repérer dans cette Première classe. Il nous explique devoir faire escale en Egypte pour "rencontrer des personnalités très importantes que le secret diplomatique lui interditde nommer !" Il insiste plusieurs fois sur les honneurs qui lui seront faits lors de son arrivée et les conditions tout à fait exceptionnelles qui seront celles de son accueil officiel. Soir après soir, nous lui donnons l'impression de boire ses paroles : il règle l'addition comme prix de notre attention soutenue, ce qui nous arrange parfaitement car nous sommes partis chacun avec un seul billet de 500 francs...
A l’aube, je suis réveillé très tôt par la chaleur intense du soleil sur le pont qui transforme en fours nos sacs de couchage. Le navire file doucement vers la baie embrumée d'Alexandrie. A l'approche du port, une vedette, à bord de laquelle se tiennent trois officiers en uniformes blancs, vient s'amarrer à l'échelle de coupée du paquebot. En haut de cette échelle, j’aperçois le Consul Général de France, Panama sur la tête, qui s'agite avec sa famille au grand complet et ses malles Vuitton. L'homme espère bien que l’ensemble des passagers goûtera à son arrivée de VIP et appréciera les faveurs qu’il estime lui être dues. Pendant ce temps, mes amis et moi réchauffons, sur notre Butagaz de camping, l’indispensable Nescafé du matin.
C'est alors que retentit soudain dans les mauvais haut-parleurs du pont, au milieu de grésillements intenses, avec un accent grec indescriptible, l'appel : "MonssiéZan-Pol, Monssié Zan-Pol il est demandé au bureau du Kômmissaire !". Je réalise brutalement que ceci me concerne. Je me précipite auprès du Commissaire. Celui-ci me dit de me dépêcher, la vedette militaire tanguant dangereusement en contrebas m'étant visiblement destinée. En cinq minutes, je me retrouve en costume et, ma valise à la main, les adieux faits à mes amis – ils continuent sur Beyrouth où ils m’attendront car ils ne sont pas invités en Egypte -, je passe devant un Consul de France médusé et défait, sa famille au grand complet et ses bagages luxueux parfaitement alignés. Il lui faudra patienter jusqu’au port pour débarquer en faisant la queue comme les autres. Rien de grave. Hormis peut-être pour son arrogante fierté.
Je vais vivre, durant deux semaines, un voyage étonnant et inhabituel pour un étudiant démuni. Escorté par le Recteur de l'Université d'Alexandrie, je visite le Caire, remonte en train la vallée du Nil jusqu'à Aswan puis en hydroglisseur jusqu'à Abu Simbel. Je me rends à Gaza qui, en 1966, est encore égyptienne... un extraordinaire voyage !
Je dormirai deux nuits dans le palais de Nasser à Héliopolis qui m’y invite.
Le Président Gamal Abdel Nasser - un moment de détente dans son jardin de Héliopolis
Il se montre très paternel et comme attendri. Prenant son petit-déjeuner à l'aube, j'y assiste un matin. Dès son café, l’homme fume cigarette sur cigarette jusqu'à la nuit. Son aide de camp, qui ne le quitte pas d'une semelle, a les poches remplies de paquets de LM sur lesquelles figure une sorte de bouquet de fleurs. Le soir, il parle avec quelques invités dans son salon, le Maréchal Amer, son plus vieil ami est là.
23 juillet 1966 - J’accompagne, sur sa proposition, le Président Nasser au Cairo Stadium pour l'Anniversaire de la Révolution, devenu Fête nationale. Nous filons dans un convoi impressionnant vers le stade comble, une immense enceinte où se tiennent déjà des dizaines de milliers de jeunes et d'invités dans les tribunes. La pelouse est la scène où se produiront des heures durant gymnastes, danseurs, soldats et enfants tandis que sur les gradins faisant face à la tribune officielle, des centaines de jeunes manipulant des panneaux multicolores donneront forme à des tableaux, des messages, des drapeaux. C'est impressionnant et terriblement totalitaire. Nasser est heureux et deux ou trois fois tapotera le sommet de ma main. Il rayonne de ce sourire remarquable, unique et envoûtant qui marquera tous ceux qui l’ont approché.
A Alexandrie, je visite le Palais de Mountaza, dernière résidence du Roi Farouk avant son départ en exil lors de la Révolution. Tout a été gardé en l'état. Le lit défait, le tube de dentifrice dans la salle de bain, les costumes dans les penderies. Je loge dans la résidence attenante au bâtiment principal du Palais. C'est là que je fais la rencontre de Yasser Arafat, alors en Egypte pour se reposer. Le début d'une longue amitié, sporadique les premières années, mais indéfectible. Je n'imagine pas alors tout ce que représentera cet homme dans les années à venir.
Dix jours plus tard, de retour de haute Egypte, le protocole s’apprête à me reconduire à Port-Saïd d’où j’embarquerai pour Limassol et Beyrouth où m'attendent mes deux amis. Le Président Nasser me reçoit pour me saluer avant mon départ. Soudainement, alors que nous parlons de tout ce que j'ai vu, il s’empourpre, se tourne vers le Ministre de la Culture et s'adresse à lui en Arabe. L'échange est bref et vif. Les yeux de Nasser roulent un instant et le Ministre désemparé se tourne vers moi : "Nous avons omis de vous présenter le son et lumière des Pyramides. Cet oubli sera réparé dès ce soir !" Je prends congé de mon hôte à regret car ce que le jeune étudiant savoyard, encore totalement ignorant de la politique a senti de lui était chaleureux et agréable. Je ne le reverrai jamais.
Me voilà donc transporté aux Pyramides pour assister à un spectacle magnifique et inoubliable. Chaque nuit, il est présenté dans une langue différente. Ce soir-là il est prévu qu’il se tienne en Anglais. Mais sur ordre de la Présidence, le spectacle sera donné en Français. Spécialement pour moi… cela devient hallucinant et parfaitement gênant. D’autant que je vois des centaines de touristes anglophones furieux faire la queue pour être remboursés. Débarquant à Alexandrie, ils découvrent en effet les pyramides puis le son et lumières à l'occasion de leur seule nuit au Caire, avant de repartir pour Port-Saïd pour reprendre leur bateau ! On comprend aisément leur colère et leur déception. Je m’en sens à la fois coupable et impressionné. Finalement, je serai seul - avec deux gardes du corps - pour assister à ce spectacle incomparable. Sa beauté et son intensité me rendent encore plus isolé au milieu de ce millier de chaises désertées...
J'ai ainsi connu le Colonel Nasser, fils de petit fonctionnaire égyptien, qui avait 48 ans lorsqu'il m'accueillit au Caire. A l'âge de 16 ans déjà, il me le confiera un soir où pétrifié devant l'instant, je l'écoutais me parler dans son salon, il avait fait de la prison après des combats de rues avec la police. Il obtint son diplôme de l'Académie militaire et participa à la guerre de 1948. Il y sera blessé. Nommé colonel - cela restera son titre pour l'Histoire - il devient le chef du Mouvement des Officiers libres qui rassemblait de jeunes militaires brillants, diplômés et décidés à renverser le roi Farouk.
C'est le 23 juillet 1952 que Nasser fait son coup d'État militaire. Il proclame la république quelques mois plus tard. Le pays sera alors gouverné par un groupe d'officiers sous ses ordres. Mais dès 1954, les choses se gâtent entre lui et le général Naguib. Il le fait arrêter et prend la direction des événements. Environ deux ans plus tard il organise les premières élections présidentielles, se trouve être le seul candidat, et devient tout naturellement le Chef de l'Etat.
C'est dès lors un tourbillon de réformes accélérées, souvent violentes et injustes, que va connaître le pays à commencer par la centralisation de l'état, l'accroissement des pouvoirs du chef de l'état, la nationalisation rapide de l'industrie, une réforme agraire assez brutale, le lancement de grands travaux, comme, réalisation qui marquera l'histoire du monde, l'immense barrage d'Assouan.
Au cours des moments que je passerai avec lui, Nasser me parlera beaucoup de ce barrage d'Assouan dont la construction commença en 1960 pour n'être véritablement terminée qu'en 1971. C'est en effet Sadate et Khrouchtchev qui présidèrent à l'inauguration définitive , quelques mois seulement après la mort du Colonel.
En 1966, date de mon séjour en Egypte, la construction était fort avancée et de l'eau jaillissait déjà en contrebas de cette construction pharaonique du XXème siècle. Dans les rues d'Assouan je pus voir, à mon arrivée à la gare et dans toutes les rues, des milliers d'affiches, ornées de deux portraits, célébrant l'amitié entre Nasser et Khrouchtchev qui seule avait permis la réalisation du projet.
En effet, comme me l'expliquera le Président Nasser, l'économie agricole de l'Égypte dépendait entièrement des crues du Nil qui déposaient sur les berges du Nil les nutriments nécessaires à l'enrichissement des surfaces agricoles. Certaines années, le pays faisait face à de très fortes crues, d'autres années des crues trop faibles entrainaient jusqu'à la famine. Le premier barrage d'Assouan construit par les Anglais et inauguré en 1902 montrait, année après année son incapacité à réguler les eaux du fleuve.
L'idée de Nasser fut de construire un plus grand barrage, en amont qui permettrait d'atteindre trois buts : faciliter la navigation régulière sur le Nil, assurer la production électrique et mobiliser les ressources en eau nécessaires à l'irrigation des terres. Grâce à l'énergie produite, on pourrait aussi alimenter des usines produisant les engrais qui compenseraient les pertes résultant de la disparition des crues.
Le projet de cet immense barrage, à une dizaine de kilomètres en amont d'Assouan fut lancé dès 1954. Le soir, dans la belle chambre des invités qui m'avait été attribuée, comme un étudiant attentif et studieux, je notais tout ce qu'il venait de me dire. Les rares instant où nous nous trouvâmes en tête à tête, il me parla beaucoup et longuement tout en se parlant à lui-même : "Les Américains et les Anglais n'ont rien compris et ne comprendront jamais rien à ce qui se passe dans le monde arabe et à ce que sont les Arabes. Ils nous traitent comme des singes. Ils s'imaginent qu'il peuvent nous imposer leurs vues, nous dicter notre politique étrangère alors qu'eux-mêmes n'ont jamais été capables d'en élaborer une qui soit cohérente. Ils n'ont à la bouche que le mot sécurité et la planète doit se plier à cette conception colonialiste qu'ils se font du monde. Moi, au départ, je n'avais rien contre le fait de les associer au barrage bien que je me sois toujours battu contre l'emprise étrangère sur le monde arabe. En fait je ne pouvais rien faire sans leur argent. Ils auraient pu nous aider. Ils auraient pu restaurer dans la région une influence qui battait de l'aile. Mais moi je voulais reconnaître la Chine, cela faisait partie de ma vision du monde - d'ailleurs prémonitoire ! - et lorsque je l'annonçais en 1956, je me suis retrouvé tout seul avec mon barrage... Et puis le contexte était mauvais, les raids menés par les palestiniens sur le territoire israélien s'intensifiaient... J'ai un instant perdu quelque peu la main et j'ai dû réagir pour réaffirmer la souveraineté de l'Egypte. J'aurais aimé que tu sois là, à Alexandrie, le soir où j'ai annoncé la nationalisation du canal de Suez ! - il se lève de son fauteuil - Que croyaient-ils ? Qu'ils allaient ainsi encaisser pendant des siècles la fortune que représentent les droits de passage alors que nous serions là à les applaudir ? La décision de nationaliser restera pour toujours la marque de Nasser ! C'est d'ailleurs là que j'ai trouvé les fonds nécessaires pour Assouan puis les Soviétiques ont sauté sur l'occasion et ils ont complété ce qui manquait. Par contre, lorsqu'ils m'ont envoyé près de 500 ingénieurs et techniciens, on n'a pas pensé ici que ces gens là qui étaient des Experts en barrages n'avaient jamais eu à tenir compte de l'évaporation ! Car chez eux il fait froid. Notre barrage ne sera jamais vraiment plein car à un certain niveau, l'évaporation devient un phénomène prédominant sur l'alimentation en eau. En fait je ne pense pas que, même avertis, ils aient pu y faire quelque chose..."
17 juillet 1966, le Ministre de la Culture de la RAU me fait visiter des fouilles récentes à Alexandrie.
Il est important de rappeler qu'au lendemain de la nationalisation du canal, aussi visionnaire qu'avait pu l'être en son temps son prédécesseur Chamberlain, Anthony Eden, Premier ministre britannique n'hésita pas à comparer Nasser à Mussolini et à Hitler ! Il se démena pour qu'une expédition militaire soit lancée contre le «Mussolini du Nil ». Une piteuse intervention militaire franco-anglaise fut décidée dès août 1956. On profita d'un contexte international favorable : les Etats-Unis étaient en pleine campagne électorale présidentielle, l'URSS en mauvaise passe avec la Hongrie. Un accord secret fut même passé avec Israël à Sèvres pour mettre au point le scénario.
C'est Israël qui déclencha le conflit le 29 octobre et dès le lendemain, le 30 octobre, les commandos franco-anglais passaient à l'action. Mais l'Union Soviétique réagit avec force alors que les États-Unis se tenaient à distance. Les troupes d'invasion se retirèrent sans gloire : " Les Français, excités par les Anglais avaient plongé droit dans le piège ! Pour eux j'étais l'ennemi. Le FLN était présent au Caire, je les aidais un peu sur le plan financier et puis Guy Mollet ne pensait qu'à soutenir Israël. Il s'est pris un moment pour Napoléon sans avoir bien lu l'Histoire. Encore un qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Ils se sont ligués contre moi et m'ont déclaré la guerre. Mais le vainqueur c'est moi et c'est, j'en suis très fier, les Nations Unies qui m'ont consacré vainqueur en ordonnant à la France, la Grande-Bretagne et Israël d'évacuer mon territoire. Ce fut aussi le succès du panarabisme car de ce jour les Arabes, notamment la rue, me considèrent comme le leader légitime de leurs aspirations".
Qu'il est triste que nos démocraties, depuis maintenant bien longtemps aient tant de mal à se doter de grands leaders qui auraient une vue réaliste et à long terme de la situation du monde.
Nasser, isolé peu à peu par le monde, voyait loin et souvent juste, à très long terme. Ses analyses se sont révélées pertinentes au fur et à mesure que l'Histoire tournait ses pages même si son régime comporte des zones d'ombre et de douleurs inacceptables.
Nasser est le symbole de l'incapacité des occidentaux à concevoir et mettre en oeuvre une politique adaptée au Moyen-Orient. Les événements d'Egypte sont prémonitoires de tout ce qui nous arrive encore aujourd'hui.
En effet, pas un seul instant les Etats occidentaux ne le prirent en considération respecteuse. Nasser perdit leurs faveurs et, conséquence inéluctable de cette stratégie imbécile, se jeta de plus en plus dans les bras soviétiques. Au moment où ces lignes sont écrites on a pu constater la même situation au Soudan avec la Chine. Ce pays a été précipité dans les bras de la Chine par les sanctions décrétées contre ce pays comme l'Egypte, à cette époque, a été poussée dans les bras de Moscou par le rejet de l'Occident.
Nasser, toute sa vie, a prôné un panarabisme neutre donc non aligné. 1956 et la capitulation des anciennes puissances coloniales ont fait de lui le chantre du nationalisme arabe, et des partis "nasséristes" virent le jour un peu partout qui vantaient l'unité du monde arabe. Nasser était incontestablement le chef de file, la référence, le "héros" de cette grande cause à travers laquelle on espérait retrouver dignité et influence.
Là encore, les réactions inappropriées de l'Occident sont à l'origine dès ce moment - nous n'en sommes pas encore sortis - d'une confrontation entre le monde arabe et l'Occident. Le nationalisme est devenu économique pour les Arabes comme il le deviendra au XXIème siècle pour l'Afrique noire. Les ressources naturelles appartiennent à ceux chez lesquels elles se trouvent. Elles doivent servir les intérêts des pays arabes et non ceux des multinationales de l'Occident, acteurs d'une nouvelle forme d'impérialisme.
Un point semblait l'obséder, l'échec de la fusion Egypte-Syrie : "Les Arabes n'étaient pas prêts et l'Egypte encore moins. Je n'aurais pas dû céder à cette pression, pourtant séduisante qui aboutit en 1958 à la fusion de l'Egypte avec la Syrie. Au début je n'y croyais pas vraiment mais certains ont su me convaincre. Les Syriens m'ont pris par les sentiments en me disant que j'étais le seul à pouvoir les sauver. J'ai alors pensé un moment que je pourrais réaliser mon rêve de fédérer le monde arabe tout en luttant contre le communisme mais je n'en avais pas les moyens. La faiblesse de notre Economie face aux exigences d'un tel projet, mon désir de créer un État fortement centralisé qui me paraissait le seul moyen de répondre à tous les défis, notamment la bureaucratie et la corruption, de dépolitiser l'armée syrienne, d'instaurer un régime de parti unique comme en Égypte, tout cela ne fonctionna pas et nous coûta fort cher ! Et je dus me résoudre à constater que je n'avais pas les moyens de faire naître un nouvel espoir de changement et de modernisation. La République Arabe Unie ne durera que trois petites années même si, par superstition, j'ai décidé d'en conserver le nom pour mon pays".
Nasser mourra d'une crise cardiaque en septembre 1970. Son successeur, Anouar el-Sadate lira un discours "Nasser était un leader dont la mémoire demeurera immortelle au cœur de la nation arabe et de toute l'humanité"
Avril 1991. Le téléphone sonne à mon bureau de Genève.
C'est Turgut Ozal, Président de la Turquie, lui-même, en direct, au téléphone ! Une chance que j'aie été là pour prendre la communication. Ce genre de personnage, en général, ne rappelle pas deux fois. La voix volontaire sonne agréablement en anglais :
- « Je désire vous voir. Pouvez-vous être demain après-midi dans mon bureau ? »
L’invitation est rude, directive, formulée sans aucune considération pour mon agenda. C’est le moins que l’on puisse dire. J'accepte. Pourquoi refuser ? Le Président de la Turquie n'est pas n'importe qui. Et puis, je suis aussi intrigué.
L’aéroport d’Ankara est perdu en plein désert montagneux, assez loin de la capitale. Quel contraste avec Istanbul élégante, charmante, chargée d’histoire et pleine d’une vie agitée. Un attaché de la Présidence est chargé de mon escorte. Nous filons vers le Hilton pour déposer mes affaires puis repartons sans tarder vers la Présidence. En plein centre-ville se trouve un immense parc, au sein duquel se dressent plusieurs bâtiments sans élégance ni charme dont la Présidence. Le contrôle à la grille du parc est sérieux, froid, suspicieux. Ici, on ne badine pas avec la sécurité ! Formalités accomplies, nous roulons doucement dans des allées boisées pour parvenir sur une esplanade en contrebas d’un bâtiment dont l’accès s’ouvre sur un grand escalier débouchant sur une galerie couverte. Des gardes sont partout qui me fixent. De vrais malabars aux yeux perçants et noirs. Je suis accueilli par le Chef du Protocole qui lui est souriant puis introduit directement dans le bureau du Président. La pièce est grande. Le plafond est haut. Des boiseries ornent les murs, portant d’impressionnants tableaux dont une marine lumineuse.
Turgut Ozal est là :
- « Merci d’être venu. Vous organisez une Conférence de la Mer Noire à Crans Montana en juin et j’ai l’intention de venir. Car la Mer noire, c’est moi ! Il faut que vous le sachiez »
Dans sa bouche, ces paroles sont définitives... mais elles sont accompagnées d'un sourire qui se veut charmant, semble véritablement sincère et compense l'impossibilité de répondre.
Soudain, il se lève et se met à arpenter la pièce en parlant. Ozal reprend à mon intention l’histoire de la Turquie plus de mille ans en arrière avec force détails et beaucoup de saveur. Il en arrive à Kemal Ata Turk et à la révolution qui a fait la Turquie moderne. Il positionne son pays d’une manière extrêmement concrète.
- « La Turquie est un grand pays. Qui n'a pas atterri à Istanbul en avion n'a aucune idée de la puissance humaine et économique que nous représentons. Nous sommes la puissance régionale la plus influente. On parle turc à la frontière de la Chine et dans la banlieue de Moscou ! De surcroît la révolution kémaliste est la seule adaptation moderne viable de l'Islam dans la vie démocratique. Nous sommes le modèle. Nous puisons là notre crédibilité. La Turquie est un leader, un pionnier et ne cessera de l'être. Aujourd'hui, la Turquie est devenue le trait d’union obligé entre le monde judéo-chrétien de l'Europe qui s'unit et le monde de l’islam sans lequel il n'y aura ni paix, ni stabilité ni développement économique durable. Ce rôle intermédiaire peut être joué d’autant plus facilement que la dimension de pays musulman laïque et démocratique fait de la Turquie un prototype unique dans la région. Aussi la Mer Noire c'est la porte de l'Europe, mais aussi celle de l'Union Soviétique, de l'Asie centrale, du Caucase et la Turquie est le leader de ce monde qui sera demain le pendant de l'Europe occidentale. J’ai été le premier à ouvrir des lignes régulières vers les pays frères de l'Est. C’est là que se trouve notre avenir. Demain l’Asie centrale sera l’Extrême Europe et la Turquie sera la porte d'entrée des nouveaux marchés de la planète. Alors je veux être à Crans Montana ! »
Notre discussion continue autour du café que l'on vient de nous servir. Nous refaisons le monde...
Je m'inquiète auprès de lui de la raison pour laquelle la plupart des ministres turcs ne parlent que turc. Bien sûr il y a à Ankara de parfaits diplomates francophones, grand lettrés qui m'impressionnent, mais, dans les gouvernements ils sont rarement représentés. Je lui explique que l'on ne "vend" rien avec un interprète. Pourquoi ne pas choisir des hommes qui parleraient au moins l'anglais ? Il me répond, très intéressé par la question :
- " C'est le problème, j'y pense souvent ! Mais la situation politique interne est complexe. Lorsque l'on forme un Gouvernement, au lendemain des élections, les pondérations du corps électoral désignent déjà les ministres sans qu'on puisse rien y . Et ceux qui, localement, sont les plus puissants, ne sont pas toujours ceux qui pont étudié à Londres ou à Paris "
Il en vient ensuite, à l'occasion d'une disgression, à la Grèce. Et le ton change radicalement :
- « La Grèce est un tout petit pays, il faut le savoir. La Turquie est une grande puissance, je viens de vous le dire. On se demande même ce qu’elle fait dans l’Union Européenne où elle ne peut que jouer le rôle de parent pauvre et créer des problèmes dus notamment à sa susceptibilité maladive et sa désorganisation totale mais subtilement "organisée". Giscard d'Estaing n'a pas eu le nez creux ! Bien sûr au lendemain de la chute des Colonels, il fallait tout bousculer pour établir la démocratie dans ce pays et le stabiliser. Mais on a fait entrer ces gens dans l'Union Européenne sans se demander, compte tenu de ce qu'ils sont et que l'on sait fort bien, si des préalables devaient d'abord être réglés ! Et l'un des préalables c'est Chypre. Maintenant ils sont dans l'Union et nous tiennent la dragée haute. Au nom de quoi ? De leur mauvais caractère et de leur crainte vis à vis de nous. Les turcs n'envahiront jamais la Grèce ! Vous pouvez le leur dire. Mais trouvez-vous normal que pas une seule des îles de la Mer Egée ne soit turque ? Qu’ils puissent prétendre à la propriété exclusive du plateau continental ? Et leurs colonels qui voulaient à une époque annexer Chypre ! Jamais ils n’auront Chypre. Au delà de nos exigences stratégiques, c’est une question de principe. Il faut qu’ils arrêtent. Pas une semaine sans que des manifestations et des interventions ne soient faites contre nous. Ils embarrassent le Parlement Européen et les autres instances internationales avec leurs projets de motions. On dirait qu’ils vivent de ce fonds de commerce ! Vous ne tarderez pas à regretter, vous les Européens, de les avoir admis. Je ne sais pas ce qui se passera mais il se passera quelque chose et vous le regretterez ! Mais nous, nous sommes une grande puissance et avons autre chose à faire que de nous occuper des Grecs ! A Athènes, la Turquie est chaque jour à l'ordre du jour. A Ankara jamais ! Les Grecs, c’est un petit chien nerveux qui s’agite sans cesse entre mes pieds et qui essaye d’attraper mon pantalon ! »
Dur réquisitoire... Parfois, la diplomatie quitte le simple registre de la conversation de salon et l’on découvre que la construction européenne, dans sa partie orientale, ne sera pas une partie de plaisir ! Mais l'homme voit clair et apporte à l'analyse des affaires du monde une contribution non négligeable. On ne peut balayer sa vision de manière trop simpliste.
En juin 1991 donc, j'organise à Crans-Montana ma Conférence de la Mer Noire, dédiée au Développement et à la Coopération de cette zone stratégique dans l’optique de l’élargissement de l’Union Européenne qui devrait en être prochainement riveraine. N'oublions pas que nous sommes en juin 1991 et que l'étoile rouge du communisme illumine toujours les tours et clochers du Kremlin. L'URSS vit encore, même si ce sont ses derniers mois d'existence. Elle explosera le 20 août suivant. Pour l'instant, seuls les pays de l'Europe centrale volent vers la démocratie et - ce qu'ils croient être - les délices du libéralisme économique !
Tous les Etats Membres du Conseil de Coopération de la Mer Noire ont répondu à mon invitation et au plus haut niveau. La Roumanie est représentée par son Premier Ministre, Petre Roman ; la Bulgarie par son Chef du Gouvernement, Dimitar Popov; l'Union Soviétique par son Premier Vice-Premier Ministre, Vladimir Sherbakov, l'Ukraine par son Ministre des Affaires Etrangères, la Moldavie, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaidjan par leurs Présidents. Magnifique tour de table !
J'organise une réunion de "calage" avant la Conférence. A mes côtés Andonis Samaras, Jean François-Poncet et le Premier Ministre de la Bulgarie Popov.
Réunion à laquelle se joint Janez Drnovsek, Premier Ministre de la Slovénie.
La délégation turque a eu finalement du mal à se former et n'a pas résisté à des événements politiques internes qui en ont compliqué la finalisation. Le Président Ozal a dû finalement renoncer, ses Ministres se sont largement disputés afin de savoir qui viendrait et, après bien des hésitations, elle est constituée de deux .... secrétaires d’Etat, dont l’un est chargé des PTT ! Curieux ce fossé entre le discours du Président et le niveau de la représentation ! Mais, comme nous allons le voir, cela aura des conséquences historiques, notamment pour la Grèce !
Nous procédons de manière révolutionnaire vis à vis du Gouvernement soviétique car sont invités les Présidents des républiques fédérées de la Mer Noire : Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie et Ukraine. Tous sont venus et chacun tient à disposer d’une place avec le drapeau et le nom de son pays alors que normalement et à part l'Ukraine ils devraient s'asseoir, en tant que républiques fédérées, au deuxième rang, derrière le Ministre de Moscou !
Le Forum de Crans Montana est fier, à cette occasion de leur avoir donné la première opportunité, prémonitoire, d'être visibles en tant qu'Etats - prochainement - indépendants.
La veille au soir, Jean Lecanuet, importante personnalité politique française et Président de la Commission des Affaires Etrangères du Sénat qui préside cette Conférence avec Jacques Kosciusko-Morizet au nom de la Fondation, décide de réunir après le dîner les participants dans un salon de l’Hôtel où les personnalités sont logées.
Jean Lecanuet, l'un des pères du Forum de Crans Montana préside la réunion des Etats de la Mer Noire à mes côtés.
Tout le monde est là. Sauf les Turcs ! On décide de les attendre. On appelle leur hôtel, ils ne répondent pas, j'envoie un émissaire taper à leur porte. Ils dorment. Ils sont épuisés. On commence sans eux. On se met d’accord sur l’agenda de la réunion et, dans un esprit d’ouverture, Jean Lecanuet ajoute :
- « Je constate que M. Velayati, le ministre iranien des Affaires étrangères et M. Samaras, le ministre des Affaires étrangères grec sont là. Je propose de les inviter à la table de la Conférence en tant qu’observateurs. Ce sera une manière de mettre à profit le caractère non-officiel de cette réunion et de parler plus largement de nombreux thèmes d'intérêt commun ». Accord unanime des participants qui trinquent alors, toujours en l'absence des turcs, à la réussite de l'événement du lendemain.
Le lendemain matin, la conférence débute à neuf heures suivant les indications de M. Lecanuet. C’est à partir de ce moment qu’une série de faits imprévisibles vont se produire. Un des mes collaborateurs a placé, selon mes instructions, les délégations autour de la table dans l’ordre alphabétique français. Mais, par une mégarde qui deviendra historique, il a inséré l’Iran et la Grèce dans la liste alphabétique alors que je pensais les mettre à une table séparée en tant qu’observateurs. Le Gouvernment suisse a, de son côté, envoyé une délégation d'observateurs.
Vladimir Sherbakov arrive en premier dans toute sa majesté de Premier Vice-Premier Ministre de l’Union Soviétique entouré de ses nombreux collaborateurs qui s'affairent autour de lui. Il vient vers moi et fulmine :
- « L’Union Soviétique est une. Elle est maître de sa politique étrangère. Que font nos républiques fédérées à cette table de conférence avec leur nom et leur drapeau au même titre que moi ? Tout au plus, ils doivent être assis derrière moi avec un seul drapeau : le mien ! »
Jean Lecanuet fait alors montre de la plus exquise diplomatie. J'explique que nous ne sommes pas aux Nations Unies et que l’intérêt de telles rencontres est justement de permettre à chacun de s’exprimer en toute liberté et sans protocole aucun. Comme il m'apprécie et que nous sommes loin de tout, à la montagne, il finit par accepter. C’est un homme brave mais aussi un homme redoutable. Il doit savoir ce qu'il fait. Ainsi les drapeaux de la Moldavie, de la Géorgie, de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de l’Ukraine flotteront-ils autour d’une table de conférence internationale, pour la première fois à Crans Montana en juin 1991.
La séance s’ouvre. Les Turcs ne sont pas là. Ils ne se sont pas réveillés. Finira-t-on par les voir ? Lecanuet retrace l’histoire de la Mer Noire en terminant par l’analyse des perspectives de coopération dans cette région. Puis il ajoute de manière totalement imprévue et sur le ton brillant dont les plus grands politiques commettent ce genre d'erreur :
- « Je salue le ministre des Affaires Etrangères de l’Iran et le ministre de la Grèce. En ce qui concerne la Grèce, je la vois assise au centre de cette assemblée et cela me donne une idée. Je propose qu’elle soit admise dès maintenant dans le Conseil de Coopération de la Mer Noire et ce, à part entière car son rôle ne peut y être contesté. Je dois vous dire que compte tenu du niveau des participants à cette Conférence, votre décision aura force de loi bien que la réunion soit en soi informelle. Y-a-t-il des avis contraires ? »
A cet instant très précis les deux délégués turcs - on pourrait les prendre pour deux techniciens du forum - font leur entrée dans la salle, à demi-réveillés. Personne ne les remarque vraiment lorsqu'ils s'installent à leur place restée vide. Visiblement la nuit a été dure. Ils prennent le temps de s’installer, manipulent leur casque de longues minutes afin de trouver le bon canal et dénouent le fil. Le temps qu’ils procèdent aux réglages, on est déjà passé à l’ordre du jour et le train de l’Histoire est passé sous leur nez....
Aucune opposition ! La Grèce est, de cet instant, Membre du Conseil de Coopération de la Mer Noire !
Andonis Samaras, ministre grec des Affaires Etrangères rayonne. Il exulte. Alors qu'il n'espérait même pas être admis comme observateur, il devient membre du Conseil en un tour de main. Il se lève, vient vers moi, m'embrasse, et me demande l’autorisation de faire entrer sa télévision. La salle s’illumine des projecteurs. Il devient la vedette d’un instant sous les yeux incrédules de la délégation turque qui ne comprend rien à ce qui se passe et qui cherche à s'informer. Mais ils ne parlent que turc et la traduction parle d'autre chose.
Plus personne ne contestera la place de la Grèce dans ce Conseil de la Mer Noire. Le lendemain toute la presse grecque fête cet événement et Samaras fera un triomphe au Parlement.
Un diplomate suisse, observateur de la Conférence et assis à mes côtés, me confie alors :
- « Je serais l’un de ces Turcs, et connaissant Ozal, je demanderais immédiatement l’asile politique en Suisse ! »
Edition 2000 du Forum de Crans Montana. Un débat sur «l’intégration de l’Afrique», est organisé en fin de journée que Joseph Deiss, Ministre suisse des Affaires Etrangères, demande à présider. J. Deiss est fribourgeois, il est professeur et cet état marque un comportement social assez distant et réservé. Il est aussi toujours ponctuel ce qui n'est pas étranger à cette charmante histoire.
La vedette de ce débat est le Président du Ghana Jerry Rawlings. Il est réputé pour son talent d'orateur mais aussi sa qualité de visionnaire. La salle est comble en cette fin de journée du samedi.
Le ministre suisse, au cours de la semaine qui a précédé le Forum m'a bien fait comprendre qu'il a un mayen à Haute-Nendaz, c'est à dire à quarante minutes de voiture de Crans-Montana. Il y a invité des amis pour une raclette et il est hors de question qu'il arrive chez lui après huit heures du soir, ce qui signifie un départ de Crans-Montana à 19:15 au plus tard. La séance commençant à 18:00 heures, elle sera donc de 75 minutes, pas une de plus.
En tant que Président de séance, Joseph Deiss va donc avoir pas mal de difficultés à gérer, en un temps si court, ses sept orateurs parmi lesquels, naturellement, Jerry Rawlings mais aussi Hage Geingob Premier Ministre de Namibie, Caetano N’Tchama Premier Ministre de Guinée-Bissau, Bonaya A. Godana Ministre des Affaires étrangères du Kenya, Francis K. Muthaura Secrétaire Exécutif de la Coopération Est-Africaine et Catherine Lalumière ancien Secrétaire Général du Conseil de l'Europe.
En effet, il est habituel au Forum de donner la parole à chaque orateur pour une introduction limitée dans le temps et de garder ensuite une plage suffisante pour permettre les échanges avec la salle. Cela nécessite beaucoup de discipline au niveau des temps de parole. Or, gérer un Chef d'Etat, de surcroit très brillant, deux premiers ministres et d'autres orateurs qui n'ont pas l'intention de céder leur avantage, n'est pas chose facile.
Jerry Rawlings est une personnalité totalement extraordinaire et toujours imprévue. Pilote et lieutenant-colonel de l’armée de l’air, formé au Royaume-Uni, il a pris le pouvoir au début des années 80 lors d’un coup d’Etat à l’issue duquel les tyrans renversés furent liquidés publiquement. Il est devenu depuis une personnalité considérée comme le père de la démocratie moderne africaine. Belle évolution !
La cinquantaine massive mais agile, vêtu d’une tenue ghanéenne traditionnelle, s’exprimant dans un anglais parfait avec une voix de baryton, Jerry Rawlings, en tant que Chef d'Etat, ouvre le débat en engageant, un époustouflant monologue sur le « destin africain ». Il est debout, a détaché le micro de son support, arpente l'estrade de gauche à droite en appuyant son discours de gestes dignes d'un prédicateur américain. La salle est rivée à son discours, les gens se lèvent, applaudissent à tout rompre, commentent... L'atmosphère est extraordinaire La salle est subjuguée.
Le problème, car il faut bien revenir à cette raclette de Haute-Nendaz, c'est que le temps passe. Rawlings ne s'arrête pas, il joue en solitaire en s'étant extrait de la ligne des fauteuils où les orateurs sont assis. Plus personne ne peut rien faire, surtout pas moi, car on ne coupe pas la parole à un Chef d'Etat. L'horloge défile provoquant un stress nerveux au niveau de la présidence du débat...
La salle elle, en redemande et le fait savoir ! Une heure a passé, au lieu des 10 minutes accordées à chacun des intervenants par le président de séance. Et encore ! Quand va-t-il s'arrêter ? Et puis il y a les autres orateurs ! On est partis pour la nuit et c'est ce qui va se passer.
A plusieurs reprises, Joseph Deiss tente d’interrompre avec une courtoisie difficile à exprimer car le Président ghanéen est debout et bouge sans arrêt alors que J. Deiss est assis. Les télévisions africaines sont là. On ne peut pas faire n'importe quoi. Comment attraper sa manche pour lui lancer un signal ? Mobiliser l'attention d'un orateur en transe qui plus est Chef d'Etat, voilà la question.
Une ou deux fois il arrive à saisir un bout de la chemise de Rawlings pour lui faire un signe, le supplier d'écourter. Aucun effet ! Finalement, J. Deiss arrive à poser fermement son bras sur celui du Président et lui fait signe des yeux que ce n'est plus possible... Ah cette raclette entre amis !
A ce moment là, Rawlings s'arrête, semble profondément dérangé, change de ton, se tourne vers J. Deiss, je vois son visage en sueur, ses yeux encore dans la transe qui est la sienne, il s'adresse au Ministre des affaires étrangères suisses, toujours avec sa voix de Pavarotti :
- Dites-moi, Monsieur Deiss, vous êtes bien Ministre ?
J. Deiss décontenancé : Oui Monsieur le Président...
- Eh bien moi je suis Président et vous vous êtes Ministre. Alors je parle et quand j'aurai terminé, je le ferai savoir !
C'était à prévoir. Mais la brutalité du récit ne reflète pas le ressenti de cette scène. En effet, fidèle à son personnage Jerry Rawlings a prononcé ces mots avec un sourire séduisant et ravageur propre à tout faire pardonner !
Le ministre suisse sourit faiblement dans sa désespérance et, faisant un signe à son collaborateur pour qu'il fasse retarder l'allumage du four à raclette, se résigne à passer là une soirée longue mais manifestement passionnante et magnifique !
La cohabitation Chirac/Mitterrand a cessé.
Edouard Balladur n'est plus au gouvernement. Il quitte un ministère multi-directionnel que l'on avait qualifié de "porte-avions". L’ancien ministre d’Etat mais pas encore Premier Ministre de la future seconde cohabitation et son épouse acceptent de participer au Forum de Crans Montana. Tout cela semble sympathique et intéressant. L'homme a en effet des choses à dire et, élément non négligeable il les dit bien.
Et puis, pour tout avouer, il y a longtemps que j'ai envie de voir ces fameuses chaussettes cardinalices rouge sang, spécialité de la maison Gammarelli que M. Balladur est connu pour porter avec délectation. Les photos se succèdent dans la presse sur lesquelles il laisse complaisamment apparaître le rouge écarlate de ses chaussettes. On dit qu'il les commande par dix chez Garammelli à Rome !
La maison Gammarelli a été fondée dans les années 1790 à Rome. C'est une institution ! Depuis 1798, sans interruption, elle habille les Papes. Six générations de tailleurs ont fait la renommée de cet établissement prestigieux qui a toujours fait preuve d’un sens aigu du beau et du travail bien fait. Et la technique, ici, n’a rien changé. Jusqu’aux boutonnières, tout est fait à la main. La noblesse des matières premières et l'expérience des siècles permettent aux Gammarelli de fournir au Pape des vêtements uniques et parfaits ! C'était bien la moindre des choses pour l'un des piliers de l'aristocratie de la République.
J'ai tellement entendu parler de ces chaussettes que je veux me rendre compte de l'effet et ne rien manquer ! A la montagne, en plus, cela devient savoureux.
Les Balladur, cela a été annoncé, sont accompagnés de leur collaborateur, Nicolas Bazire, encore peu connu, et d'un officier de sécurité comme il sied à tout ancien ministre français digne de nom. En clair un policier désenchanté, sorti du cadre quotidien et affecté aux valises lorsqu'on voyage et aux sacs Chanel et Fauchon lorsque Madame fait ses courses.
Ils doivent normalement arriver le vendredi après-midi, alors que le Forum a déjà débuté depuis le jeudi, se rendre directement dans notre Hôtel "amiral" où sont logées les hautes personnalités (cet hôtel faisait à l'époque les délices de nos invités de marque quand Alain Morard, un hôtelier valaisan que ne renierait pas Ritz - également valaisan - en assurait la direction avec brio, tact et compétence. Malheureusement les choses changent...).
Je suis donc en pleine séance du Forum car les travaux battent leur plein. Mon portable sonne. C'est Alain Morard qui m'appelle depuis l'hôtel :
- Monsieur et Madame Balladur sont à l'Hôtel. Il viennent d'arriver mais ils repartent i.m.m.é.d.ia.t.e.m.en.t... Venez vite ! Il y a un drame - Je sens une voix désespérée et gênée qui ne peut vraiment s'exprimer.
Ca commence bien ! Je sais que M. Balladur n'est pas un homme simple, que c'est une personne au port royal, susceptible, difficile dans ses rapports humains et distante, qu'il est très soucieux de la déférence attachée à son personnage et à son rang que tout montre exceptionnel. Mais je ne vois pas ce qui peut justifier qu'il soit déjà fâché ! Je ne l'ai pas encore vu ! Que s'est-il passé ?
J'interromps mes activités du moment, saute dans la voiture et me précipite à l'hôtel, surpris, curieux et contrarié. C'est vrai, je n'invite pas des personnalités pour qu'elles ne soient pas satisfaites et se fâchent. Le Forum doit être une expérience agréable et intéressante. Il doit l'être aussi pour Balladur !
A la réception de l'hôtel, je trouve Edouard Balladur et son épouse, manifestement contrariés, dans tous leurs états, accoudés au comptoir de la Réception avec leurs collaborateur et garde du corps également debout, les valises au pied, légèrement en retrait.
L'incident, car il y en a un, vient du fait que l’Hôtel dont je parle ne comporte que 63 chambres. Nous y logeons les Chefs d'Etat, les Chefs de Gouvernement, Ministres et hautes personnalités. Il est manifestement l'endroit le plus agréable et le plus confortable de la station. Tout le monde se bat pour y être hébergé.
Mais comme le Forum accueille environ 100 pays à chaque session, on ne peut naturellement y accueillir ni collaborateurs, ni Ambassadeurs - qui se battent d'ailleurs bec et ongles - ni sécurité. Dans le cadre d'un accord que j'ai passé avec la Police Fédérale et la Police Cantonale du Valais, c'est l'hôtel tout entier qui est sécurisé. C'est donc l'endroit le plus sûr de la station. Des Chefs d'Etat parmi les plus importants l'ont très bien compris et se félicitent de se retrouver le soir au bar avec leurs collègues étrangers sans escorte ni assistants. C'est une garantie d'excellente ambiance.
Edouard Balladur, lui, ne l'entend pas de cette oreille. Il est tout simplement furieux. Il s'adresse à moi, du regard et de la parole, comme on parlerait au contrôleur du train qui vient de laisser s'envoler votre billet aller et retour par inadvertance. Je ne suis pas salué. Il attaque d'emblée :
- Monsieur, l'heure est grave. Nous comptons repartir ! J'observe que mes collaborateurs ne peuvent loger dans des chambres attenantes à la mienne. C’est inacceptable. Je travaille en permanence, savez-vous et même souvent tard la nuit. Monsieur Bazire ne saurait être loin de moi. Quant à mon garde du corps, il doit rester aussi près de moi pour des raisons évidentes !
Je jette un coup d'oeil aux deux compères chargés pour l'instant des valises, juste derrière lui. Peine perdue. Ils ont le regard dans le vague et attendent de voir l'évolution des événements en se mêlant le moins possible de la situation...
J'explique alors à mon éminent invité les conditions dans lesquelles fonctionne cet hôtel, ce qui le rend d'autant plus attrayant pour les participants de haut niveau puisqu’ils se retrouvent exclusivement entre eux.
Mais Edouard Balladur ne m'écoute pas, ne m'entend pas. Il n'a pas l'intention de m'écouter. Je l'ennuie par définition. Qu'il soit là lui, une si éminente personnalité, bloqué à la réception d'un hôtel, en train de parler de choses aussi vulgaires, est déjà insupportable. Je ne l'intéresse tout simplement pas. Il parle en fixant une ligne au dessus de ma tête. Je n'ai aucun regard à accrocher. Il demeure d'une fermeté pontificale alors qu'il est mon invité comme cela m'a été demandé. Je me sens tout de même atteint. Je ravale ma salive et m'apprête à relancer des explications car, finalement, je suis tout de même chez moi. Il m'interrompt alors que, ma bouche venant de s'ouvrir, je n'ai pas encore prononcé un mot :
- « Monsieur, ou bien vous procédez selon notre désir ou bien nous quittons immédiatement cet endroit ! N'est-ce pas Marie-Josèphe ? »
Je ne m'attends pas, à ce moment là, à ce que sa femme le démentisse un seul instant... Alain Morard, le patron de l'hôtel, qui assiste à cette scène affligeante et que je vois dévasté par cette situation me fait alors un signe et me murmure à l'oreille :
- « Deux désistements viennent de se produire, on peut tout arranger. »
Avec mon accord donné d'un regard, il confirme alors à l'ancien ministre que, finalement, tout le monde sera logé dans son hôtel et que l'incident est clos.
Soulagement, le groupe opère un demi-tour et se dirige majestueusement vers l'ascenseur puis les appartements. Pas un mot.
Je n'ai même pas regardé les chaussettes !
Le reste du séjour se passera agréablement cependant, la question des chambres étant résolue..l
Image apaisée de l'homme tranquillisé...
J'ai eu la chance de connaître la quasi-totalité des acteurs des accords de Dayton avec lesquels j'ai travaillé longtemps en proximité avec mon grand et regretté ami Richard Holbrooke. L'un d'entre eux est une grande figure de la Bosnie-Herzégovine. Il en fut le Président : Alija Izetbegovic.
Printemps 1995 (les accords seront signés en décembre de la même année). La guerre est toujours un phénomène douloureux et lancinant en Bosnie-Herzégovine. Je réponds à son invitation et décide de rendre visite au Président Izetbegovic à Sarajevo pour parler de la situation et, plus précisément de sa venue au Forum que j'organise à Malte à l’automne suivant. Le programme comprend naturellement un panel dédié à la sécurité dans les Balkans ! Il doit absolument en être.
A ce moment là, aucune ligne aérienne ne dessert Sarajevo. Les compagnies privées refusent de s’y poser car leurs compagnies d’assurance ne les couvrent pas. Il ne reste qu’une solution : prendre un avion des Nations Unies à Zagreb, en Croatie. J’obtiens l’autorisation du Secrétaire Général des Nations-Unies et arrive, dans ce but, un soir à Zagreb. Il fait froid et humide. Les hôtels de la capitale croate ne sont pas encore ce qu'ils sont aujourd'hui. Je dîne avec le Premier Ministre qui me dresse un tableau inquiétant de la situation. La Croatie peine à se démarquer de la guerre, contrairement à la Slovénie qui a su se préserver avec une habileté rare. Au point d'ailleurs d’atteindre un niveau économique qui la mettra dans le peloton de tête pour l’adhésion à l’Union Européenne.
L’ambassadeur de Bosnie est très concerné par ma visite. Il me prend à l’hôtel le lendemain matin et nous nous dirigeons vers l’aéroport de Zagreb. Je me rends au terminal des Nations- Unies, une véritable forteresse.
Je pénètre dans le périmètre de sécurité après avoir été contrôlé par la police croate, puis je suis présenté à un officier tunisien en tenue de combat qui épluche mes papiers. Je me dirige ensuite vers un guichet où officie un Suédois. Mon sac est pris en charge par des militaires indiens. J’arrive enfin au contrôle des rayons X où opèrent deux gendarmes français ! C'est vraiment les Nations Unies. Je suis finalement admis dans une salle d’attente où se tiennent des militaires en treillis qui fument cigarette sur cigarette. Il faut maintenant attendre l’avion.
Soudain les gendarmes français reviennent brutalement vers moi :
- « Où sont votre casque et votre gilet pare-balles ? Vous ne pouvez pas embarquer si vous n’en avez pas, c’est le règlement ! »
Méchante surprise. Je suis là tout seul, l’ambassadeur bosniaque est parti. Comment trouver ce matériel ? Ma modeste carte officielle et colorée de Conseiller du Commerce Extérieur que je présente en plein désespoir va se révéler magique. Ne jamais désespérer. Les gendarmes font alors tout leur possible. Tandis que les hélices du gros porteur militaire aux couleurs des Nations Unies tournent déjà, ils arrivent avec un casque et un gilet pare-balles qui pèse bien ses vingt kilos.
Dans cet énorme avion, je suis assis, seul civil, avec des militaires de part et d’autre sur des sièges en toile. Au milieu de la carlingue très bruyante, d’énormes containers de matériel occupent toute la place. Le vol se fait au ras du sol, en suivant les reliefs montagneux. Nous nous posons finalement sur l’aéroport de Sarajevo transformé en base militaire. La voiture qui m’attend est un blindé blanc, conduit par des Suédois silencieux. Dès que la porte est verrouillée ils démarrent en trombe et nous traversons Sarajevo à une vitesse incroyable, pour des raisons de sécurité me dira-t-on plus tard. Plus on va vite, moins on est une cible
Arrivé au pied du Palais présidentiel, j'entre dans cette grande bâtisse triste et mal éclairée. Il faut monter à l'étage. Les gardes que je rencontre me dévisagent tout aussi tristement. Il faut dire que je pourrais me présenter au casting de la Grande Vadrouille. Mon casque est trop petit donc surmonte ma tête de manière un peu ridicule. Quant au lourd gilet, je n'en parle même pas. Je monte au premier. Je suis introduit dans un salon sans lumière ni chauffage. Des canapés défoncés font office de sièges. Derrière une grande tenture, la fenêtre a été arrachée. Un trou béant a été bouché par un voile de plastique qui protège mal du vent glacé tout en claquant régulièrement.
Le Président entre, vêtu d’un manteau et d’une grosse écharpe. Il porte d'énormes pantoufles que les français appellent des Charentaises. Visiblement il n'est pas réchauffé. Dans la pénombre, nous parlons longuement à mi-voix comme il le fait d’habitude en approchant son visage du mien. Ses yeux sont rayonnants, pleins d’espoir et de résolution. Il est manifestement content de ma visite. Il me demande, ce qui me semble d'abord étrange, de lui parler du fédéralisme suisse. Pour lui, c’est l’exemple de ce qu’il faut faire en Bosnie. Il a finalement raison. Il m’informe alors des pourparlers en cours et de cette situation qui, quel que soit l’angle sous lequel on se place, semble inextricable. Il se confie avec émotion, me parle de ses espoirs et de ses déceptions humaines, de ce rôle qu'il pense le dépasser, de tous ces malheurs... Des mots que je n'ai pas le droit de répéter tellement ils me sont livrés dans le secret et l'amitié. Ils sont destinés à disparaitre comme pour magnifier l'honneur de la confidence. Un moment émouvant !
Quelques heures passent. Il se ressaisit.
- Vous devez avoir faim ?
Il a organisé pour moi un déjeuner dans un bistro du vieux Sarajevo, en montant juste après le pont à gauche, le long de la rivière (les initiés reconnaitront l'endroit). Il a tout d'abord quelques détails à régler. Alors il me suggère de visiter la ville avant que nous ne nous retrouvions pour le repas.
Je repars donc dans le blindé avec un Officier auquel il a donné quelques instructions. Le blindé s'arrête sur une place où se trouve une magnifique mosquée. Je descends pour la regarder, prends mon temps puis m'arrête un moment pour contempler cette belle ville enserrée de si hautes montagnes.
- « Marchez, monsieur ! » m’ordonne l’officier qui est à mes côtés !
Là je trouve qu'il en fait un peu trop. Nous sommes pressés mais je vais quand même prendre quelques minutes pour contempler ce monument.
- « Marchez, monsieur ! » m’ordonne de nouveau l’officier !
J'ai l'intention de lui dire quelques mots sentis lorsqu'il comprend, vient vers moi et m'explique en souriant
- « Dès que vous vous arrêtez, vous devenez une cible pour les snipers qui sont dans la montagne et qui aiment bien viser à l’aisselle, là où le gilet est ouvert !»
Je comprends de manière instantanée et réagis de même. Je suis courageux mais pas téméraire. Je n'ai pas l'intention de mourir à Sarajevo. Je me précipite et m'engouffre sans discuter dans le blindé en heurtant le cadre de la porte avec mon casque. J'ai tout de même une certaine peur rétrospective. Nous filons au restaurant.
En fin d’après-midi je suis pris en charge par Mohamed Sacirbey qui après avoir été le Ministre des affaires Etrangères de la Bosnie deviendra ambassadeur à New-York. Il m’emmène dans un restaurant en sous-sol où, malgré la situation ou plutôt du fait de la situation, la jeunesse de Sarajevo s’amuse comme à Saint-Germain-des-Prés. C’est toujours ainsi : quand il y a la guerre, le besoin de se défouler est de plus en plus fort. Les gens boivent, dansent, chantent. Il faut essayer d’oublier.
Mais je dois aussi passer la nuit sur place car le prochain avion des Nations Unies ne repart que le lendemain...
M. Sacirbey me conduit à l’hôtel Holiday Inn. J'ai mis des années à réaliser pourquoi je sentais de si mauvaises ondes dans ce bâtiment. Il a été de fait le quartier général de Karadcic. Il vaut mieux ne pas imaginer ce qui a pu se passer entre ces murs. Pour l'instant je ne le sais pas et ça vaut mieux.
Le hall est une vraie cathédrale de silence, tristesse, froideur et de nuit. Un pseudo réceptionniste triture derrière un méchant comptoir une vieille radio qui crache plus qu'elle ne diffuse quoi que ce soit. Ce n'est pas rassurant, Je vais dormir là... Des ombres curieuses se promènent silencieusement dans l’entrée. Des jeunes gens, armés jusqu’aux dents sont au bar et parlent fort.
Après bien des hésitations, on m'attribue « ma » chambre. Deux étages à pieds, ne parlons pas d'ascenseur ni d'électricité. La fenêtre a tout simplement été emportée par un obus. Il fait froid à mourir et je n'aime pas ça. M. Sacirbey envoie son chauffeur trouver un chauffage de fortune au ministère. Je vais tenter de dormir dans cet univers étrange et inhospitalier. A deux heures de Paris !
Le lendemain matin, départ en trombe vers l’aéroport. Je n'exige pas de petit-déjeuner ! Vite partir, c'est ce qui peut m'arriver de mieux après cette nuit horrible et ma toilette dans une salle de bain sans fenêtre ni lumière ni eau chaude !
A l'aéroport, je découvre avec stupeur que le tout puissant Représentant des Nations Unies (il y a un livre à écrire sur ces proconsuls) a annulé tous les vols vers Zagreb. Je me sens mal parti.
J’aperçois des militaires français et me présente à un lieutenant qui me rassure :
- « Vous partirez, j’en fais mon affaire. Asseyez-vous là et attendez ! »
Je deviens très sage de peur que tout cela ne tourne au vinaigre. Après quelques heures il revient.
- « J’ai un avion pour Split mais vous devrez voyager avec le cercueil d’un Casque Bleu. Désolé. A votre arrivée à Split, vous monterez au premier étage de l’aéroport. Vous trouverez un bureau où vous pourrez acheter un billet pour Zagreb ».
Il m’offre enfin un vrai café et nous partons, toujours en rase-mottes pour Split, ville historique de la Croatie, mon compagnon de voyage décédé que je ne connais pas et moi.
L’aéroport de Split est une véritable fourmilière ! Des centaines de militaires de toutes les nationalités se croisent et s'agitent dans tous les sens. C'est la plaque tournante de l'engagement en Bosnie. Impossible d’accéder au premier étage. On ne peut même pas monter l'escalier ! Aucun tableau d’affichage ni annonces... Que faire ?
Au moment d’entrer dans une cabine téléphonique d’où je voudrais prévenir Genève, je heurte une jeune femme accroupie par terre avec son ordinateur, en train d’envoyer des messages électroniques par téléphone. C’est ma chance. Il s’agit de Mabel Smith, la collaboratrice de George Soros, animatrice de sa Fondation « Peace in the Balkans » et dont on parlera beaucoup plus tard notamment lors de son mariage princier. Mais c'est une autre question et qui ne me concerne pas.
- « Je m’occupe de toi Jean-Paul ! Nous n’avons pas besoin de billet. Ici, c’est premier arrivé, premier servi…»
Nous traversons l’aéroport, passons un contrôle grâce au large sourire ensoleillé de Mabel et nous précipitons en courant vers un avion prêt à partir pour Zagreb et dont la porte est ouverte. Nous nous y installons et attachons les ceintures. Nous sommes suivis par une foule de gens qui se bousculent dans tous les sens, prennent place et, pour ceux qui n’en trouvent pas, ressortent l’air dépité de l’avion.
C’est ainsi que je regagnerai Zagreb pour y prendre une correspondance Lufthansa et enfin rentrer au bercail.
Le 13 juin dernier, le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et le Président du Forum économique mondial (WEF) Klaus Schwab ont signé un partenariat pour «accélérer la mise en œuvre de l’agenda 2030 pour le développement durable». L’alliance, faite en toute discrétion, est pour le moins controversée.
Long de quatre pages, l’accord entre l’ONU et le WEF regorge de d’objectifs aussi ambitieux que déclamatoires. Y sont réunis tous les ingrédients pour un monde heureux et égalitaire: climat, égalité des genres, santé, éducation… Pourtant, aussi grandiloquent qu’il soit, le texte semble embarrasser l’ONU. L’organisation n’a même pas pris la peine de le publier sur son site internet.
En fait, ce partenariat aurait presque pu passer complètement inaperçu s’il n’avait pas été récemment dénoncé dans une lettre cosignée par près de 400 ONG – dont Public Eye (anciennement Déclaration de Berne). Adressée à Antonio Guterres, la missive demande à l’ONU de purement et simplement mettre fin à cette collaboration jugée «fondamentalement contraire à la Charte des Nations Unies». Les ONG voient d’un très mauvais œil la soudaine place de choix accordée aux multinationales du WEF dans le processus décisionnel onusien. Elles considèrent que cet accord remet en question le fondement même du fonctionnement démocratique des Nations Unies.
Formalisation écrite du lobbyisme du WEF
Des raisons de s’inquiéter pour la bonne santé démocratique onusienne, il y en a effectivement un certain nombre lorsque l’on se penche sur les quatre pages de ce «cadre de partenariat stratégique». Le texte stipule d’emblée que les deux institutions s’aideront mutuellement à «accroître leur rayonnement, à partager des réseaux, des communautés, des connaissances et des compétences». Et ce n’est que le début.
Cette formalisation écrite du lobbyisme que pourra exercer le WEF au Palais des Nations devient en effet de plus en plus décomplexée au fur et à mesure des pages. On y apprend par exemple que le club de Davos et l’ONU pourront utiliser leurs plateformes de communication respectives afin d’accroître la visibilité des thèmes sur lesquels ils se sont mis d’accord. Le point d’orgue se trouve peut-être dans l’un des derniers paragraphes, qui laisse la possibilité d’une «planification prévisionnelle et avancée pour une coopération et un impact plus efficaces».
Du «Bluewashing»
S’il est difficile de dire à quel point ce partenariat permettra aux multinationales d’influencer les décideurs onusiens sur les mesures qui les concernent directement – le texte reste malgré tout assez vague – il leur fournit dans tous les cas une opportunité unique d’embellir leur image auprès du grand public. C’est ce que Public Eye appelle le «Bluewashing»: derrière une communication humaniste amplifiée et légitimée par des partenariats avec les Nations Unies, les multinationales ont l’occasion de détourner du débat public les sujets sur lesquels elles ont un peu moins de quoi se gargariser (extraction de minerais, pompage d’eau, pesticide et autres performances peu compatibles avec les droits humains).
Il serait néanmoins naïf de penser que les membres du WEF se contenteront d’embellir leur image à travers ce rapprochement avec l’ONU. Comme le rappelle Public Eye, le Forum de Davos avait établi il y a déjà une dizaine d’années une stratégie visant à réformer la gouvernance mondiale. Nommé Global Redesign Initiative, ce modèle de gouvernance dit de «multipartite» est décrit dans un document de 600 pages plaidant en faveur d’une intégration encore plus importante des entreprises privées au sein du système onusien. Le partenariat signé le 13 juin peut en ce sens être vu comme un aboutissement.
La légitimité des Nation Unies en question
Alors que les Nations Unies souffrent des coupes budgétaires infligées par les Etats-Unis et que la méfiance envers les élites mondiales et économiques grandit un peu partout dans le monde, ce partenariat avec le Forum de Davos risque de saper encore un peu plus la légitimité de l’ONU auprès du public. C’est certainement pour cette raison que l’administration d’Antonio Guterres est si peu bavarde à propos de cet accord. Seulement, cela ne fait qu’amplifier l’impression que le multilatéralisme se fait de façon opaque par une poignées de privilégiés. Ce n’est pas ce qui apaisera les âmes révoltées.
Reprise d’un article du Journal suisse Le Temps
De gauche à droite : Mr. Laho Bangoura, Conseiller du Premier Ministre de la Guinée, le Président du Cercle, Mr. Nicolas Koutros, CEO de OBERTHUR Fiduciaire, le Premier Ministre Soumeylou Maiga du Mali, Mr. Michel Faillettaz, Secrétaire du IUHEI Crans Montana Institute, Mr. Yann Coelenbier Directeur du Crans Montana Forum, le ministre Jean- Marie Bockel, Senateur français, Mr. er Mme Cornel Varvara, Président de Uni-Recycling, et le Premier Ministre Affi N’Guessan de Côte d’Ivoire.
De gauche à droite, l’Amb. Jean-Paul Carteron puis M. Marius Vizer Président de la Fédération Internationale de Judo, Mme Nadia Comaneci Championne olympique de gymnastique, M. David Douillet quadruple champion du monde de Judo, M. Azad Rahimov Ministre de la Jeunesse et des Sports de l’Azerbaïdjan, M. Khaltmaagyn Battulga Président de la République de Mongolie.
"Conscient du sentiment d’injustice pouvant être ressenti par certains devant la rapidité d’un progrès économique et industriel qui bouscule pas mal de choses, SM le Roi propose très justement un nouveau contrat social emportant l’adhésion globale de l’État, des forces vives incluant le secteur privé, des formations politiques et des syndicats, des associations, ainsi que de l’ensemble des citoyens", a souligné M. Carteron dans une déclaration à la MAP, en réaction au discours royal du 20 août.
Cette vision, a-t-il dit, est essentielle et combien rassurante pour tout un peuple parti à la conquête du progrès et du succès économique et social.
"Il est vrai que c’est chaque jour que les Marocains, sous la conduite de leur Souverain, mènent la bataille du progrès et du développement", a ajouté M. Carteron, relevant que cette bataille est un challenge très difficile "car c’est le citoyen, tous les citoyens, qui doivent être placés au centre du processus de développement alors que ce même développement économique crée parfois des inégalités mal ressenties et semble oublier certains".
"C’est en cela que le discours de SM le Roi est structurant lorsqu’il affirme que les affaires du pays doivent être traitées dans le cadre d’une approche participative et inclusive et garantir l’implication de tous", a-t-il dit, ajoutant que "cet effort doit être maintenu sans relâche".
De l'avis du fondateur du Forum Crans Montana, SM le Roi "ressent l’évolution des événements, les devance et ouvre chaque jour de nouvelles avenues". "Cette vision, ce courage, cette détermination sont le gage d’un avenir brillant et prometteur", a-t-il conclu.
Le Forum Crans Montana est une Organisation internationale non gouvernementale créée en 1986 avec pour mission de contribuer au renforcement de la coopération internationale en favorisant les bonnes pratiques et en permettant un dialogue permanent entre les secteurs public et privé. Le Forum organise plusieurs événements de renom, dont un rendez-vous annuel à Dakhla avec la participation de décideurs de haut niveau afin d'aborder les enjeux politiques, sociaux, économiques et sécuritaires de l'heure.
With new headquarters in the Valais, the IUHEI Crans Montana Institute, declination of the Crans Montana Forum, is launching as from September 2019, a number of post graduate programs for high level decision makers of Governments and international Companies.
The first activities will be dedicated to Global Security, Economic Intelligence, Diplomacy & International Affairs, Governance, Crisis communication Public Health and Food Security.
More contacting info@iuhei.org
State Duma Speaker Vyacheslav Volodin said the issue concerns trade wars that the US is in both against Russia and China
Russian State Duma Speaker Vyacheslav Volodin
ST. PETERSBURG, June 7. The US is introducing sanctions against Russia not because of Crimea’s reunion with it but aiming to oust Russia from European markets, State Duma Speaker Vyacheslav Volodin said in an interview with TV program "60 Minutes" broadcast on Rossiya-1 on Friday.
"Sanctions would have been introduced in any way. As soon as Russia started developing, as soon as it became strong, it was inevitable," the speaker said, adding that Russia should overcome these challenges. He pointed to the fact that the stagnation of economy that was triggered several years ago "is in the past." "We will be able to go through this situation and we will be able to preserve the fulfilment of obligations to our citizens," he affirmed.
"The United States is not satisfied with the fact that we have a vast trade turnover with Europe that amounts to tens of billions of dollars. The US introduced these sanctions to oust us from Europe; moreover, it is trying to intimidate our European partners," Volodin said. "The reason is not that Crimea is now part of Russia. It was just a pretext, not a reason," he added.
The issue concerns trade wars that the US is in both against Russia and China, Volodin said.
The State Duma speaker affirmed that "[Russia] is in dialogue all the way around, both with the United States and Europe." "And, of course, we are in dialogue with the countries that found themselves in this situation with us," he said, naming China, Iran and Turkey among such states.
Antonio Guterres le 30 mai 2019
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a confié mardi à des diplomates qu'il avait sérieusement envisagé de vendre sa résidence de Manhattan, dans le centre de New York, pour aider l'organisation à surmonter sa grave crise budgétaire.
«La première chose que j'ai faite quand je suis arrivé est de demander si je pouvais vendre ma résidence», a déclaré M. Guterres, qui a pris ses fonctions en janvier 2017.
L'ONU faisait alors face à un trou de 1,5 milliard de dollars dans le budget de ses opérations de maintien de la paix, ainsi qu'à un autre de 492 millions dans son budget ordinaire dû aux impayés de la part des Etats membres. «Je ne plaisante pas, c'est une histoire vraie», a ajouté M. Guterres devant un comité budgétaire de l'ONU.
Vente impossible
La résidence officielle du secrétaire général de l'ONU est une maison de quatre étages avec jardin, avec vue sur l'East River, dans le quartier cossu de Sutton à Manhattan. Elle avait été offerte à l'organisation par un milliardaire en 1972, et sa valeur est estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars.
Mais M. Guterres a expliqué qu'il avait rapidement découvert que les accords conclus entre l'ONU et les Etats-Unis, hôtes de l'organisation, ne lui donnaient pas la possibilité de céder ce bien de prestige.
Il a estimé que les finances de l'ONU se trouvaient dans un état «critique», et que l'organisation allait vers de sérieux problèmes de trésorerie vers la fin de l'année, même dans l'hypothèse optimiste où tous les Etats membres paieraient leurs contributions dans leur intégralité et dans les délais.
Iran announced it will adhere to the Olympic regulations and compete against athletes of any other country. Contrary to Iran's practice over the years, and for the first time, Iranians will face Israelis in Judo competitions
The Iranian Olympic committee announced in a letter send Saturday, to International Judo Federation President, Marius Vizer, that Iran intends to follow the regulations of the Olympic commission and compete against any country.
The international Judo Federation announced that after years of Iranian ploys to avoid competing against Israelis, the federation has decided to step up efforts to ensure fare competitions.
IJF President, Mr. Marius Vizer - here with the President of the Russian Federation, Mr. Vadimir Putin
Moshe Ponte President of the Israel Judo Association told Ynet:" we have been working for a long time on this and it is finally bearing fruit. The Iranians are committing to show up to every battle and maintain the spirit of the sport without feigning injuries or faking weight. We are pleased about that and are grateful to Marius Vizer. We hope other athletic fields will follow this lead.
Israeli Judoka Sagi Muki
Last February, then Iranian world champion, Saeid Mollaei, threw his semi-final match at the grand slam tournament in Paris, in order to avoid competing against Israeli Judoka Saki Muki. Muki went on to win a gold medal in the competition.
VIENNA, Austria – Austrian municipalities were greatly affected by anti-Russian sanctions, especially companies in Austria and other European countries, said the former mayor of the city Linz, Detlef Wimmer, at the International Economic Forum in Yalta.
The official indicated that the economic restrictions caused damages amounting to “$100 billion”.
“The United States, which imposed sanctions against Russia, has harmed even the companies of many European countries, but Russia managed to survive, we see the situation in Crimea, we see what has been built here in the last five years,” said Wimmer.
The mayor of the city added that Austria at the district level does not share “the principles that lead to sanctions.”
The relations between Moscow and the West worsened as a result of the situation in Ukraine and the reincorporation of Crimea to Russia after the referendum held in March 2014, in which more than 96% of the voters endorsed this option.
That same year, the EU, the United States and several countries in its orbit imposed sanctions on Russia for the incorporation of Crimea and for its supposed role in the Ukrainian crisis, a role that Moscow rejects, which is why it responded with an agri-food embargo.
Moscow repeatedly pointed out that the referendum in Crimea was carried out in compliance with international law and the UN Charter.
The Yalta International Economic Forum was held from April 18 to 20 and was attended by more than 4,500 attendees from nearly a hundred countries, including Germany, France, Italy, Mexico and others.
EU countries should not “dance to the beat” of US President Donald Trump, said Austrian President Alexander Van der Bellen in an interview with the Welt newspaper last month.
“The US president Trump, for no reason, abandoned the agreement with Iran on the nuclear program (…) and then banned European companies from doing business with Iran under the threat of severe sanctions, I think it’s too much, Europeans they should not dance to the sound of Trump,” said Van der Bellen.
He added that European countries should follow an independent policy also in other matters, where the US and Europe have “discrepancies.”
In January, the US ambassador in Berlin, Richard Grenell, sent letters to several German companies in which he warned of “a great risk of sanctions” for those who participate together with Russia in the Nord Stream 2 project.
In August 2018, Washington reinstated sanctions against Iran and in November extended the restriction measures.
These are the restrictions that the United States had lifted in 2015 when the Joint Comprehensive Action Plan (PAIC) entered into force, then signed by Russia, the United States, the United Kingdom, China, France, Germany and the European Union.